La Sainte Écriture n'enseigne pas que le fils est une nature créée, mais bien qu'il est de même nature que le Père, divine au sens propre et non seulement figuré. La nature, en effet, est principe d'opération. Or Jésus-Christ a dit: tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. Si le Père et le Fils ont la même activité, ils s'ensuit qu'ils sont de même nature.
Tu te contredis en affirmant que le Fils est engendré, mais que le terme "nature divine" ne désignerait pas la nature de Dieu lui-même, mais celle d'un être créé et inférieur, comme c'est parfois le cas dans les Écritures. Si le Fils est engendré, alors il est réellement de même nature que le Père; et lorsqu'on dit qu'il est de nature divine, on l'entend donc au sens propre.
Lorsque l'Écriture donne au Christ et aux anges le nom de fils de Dieu, c'est en effet en des sens différents ; d'où la parole de l'Apôtre : Auquel des anges a-t-il jamais dit : Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré ? parole dont Paul affirme qu'elle était adressée au Christ.
A en croire la thèse susdite, c'est dans le même sens que les anges et le Christ seraient appelés fils : aux anges et au Christ ce nom reviendrait en vertu d'une certaine excellence de nature, en laquelle Dieu les a créés.
L'instance suivant laquelle le Christ ne fait que posséder une nature plus éminente que les autres anges ne tient pas, car si parmi les anges il y a des ordres divers, c'est pourtant dans un même sens qu'ils ont droit au nom de fils. On ne peut donc pas appeler le Christ fils de Dieu selon l'acception propre à la thèse d'Arius.
Du fait même de la création, le nom de fils de Dieu s'applique d'ailleurs à quantité d'êtres : tous les anges et tous les saints. Si donc le Christ était appelé fils dans la même acception, il ne serait plus l'unique-engendré, bien qu'en raison de l'éminence de sa nature, on puisse encore l'appeler premier-né de tous les autres. Or l'Écriture affirme qu'il est bien
l'unique-engendré : nous l'avons vu comme l'Unique-engendré du Père. Ce n'est donc pas du fait de la création que le Christ est appelé Fils de Dieu.
Le nom de fils ne trouve application, d'ailleurs, d'une manière exacte et vraie, que dans le domaine de la génération des vivants où le sujet de la génération sort de la substance de son générateur : autrement ce nom n'est pas à prendre dans son sens strict, mais plutôt suivant un
mode analogique, comme lorsque nous appelons fils, ou bien des disciples ou bien ceux dont nous avons la charge. Si donc le Christ n'était appelé fils que du fait de la création, ce n'est pas en toute vérité que ce nom lui serait appliqué, étant donné que ce qui est créé ne découle pas de la substance de Dieu. Or l'Écriture l'appelle vrai Fils : afin que nous soyons
dans son vrai Fils, Jésus-Christ. Le Christ n'est donc pas appelé Fils comme créé par Dieu dans une perfection de nature aussi grande qu'on voudra, mais bien comme engendré de la substance de Dieu.
Que le Christ soit appelé Fils du fait de la création, et il ne sera pas vrai Dieu : rien de créé en effet ne peut être appelé Dieu si ce n'est en raison d'une certaine analogie. Or Jésus-Christ est vrai Dieu ; après avoir dit : afin que nous soyons dans son vrai Fils, Jean ajoute : c'est lui qui est le Dieu véritable et la vie éternelle. Ce n'est donc pas du fait de la création que le Christ est appelé Fils de Dieu.
L'Apôtre écrit d'ailleurs dans l'Épître aux Romains :... De qui est issu selon la chair le Christ qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. Amen ; et dans l'Épître à Tite : dans l'attente de la bienheureuse espérance et de l'avènement glorieux de notre
grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. Il est dit encore en Jérémie : Je susciterai à David un germe juste, et on ajoute : et voici le nom dont on l'appellera, le Seigneur notre juste. Le texte hébreu porte le nom tétragramme dont il est certain qu'il ne s'applique qu'à Dieu seul.
Tout ceci prouve que le Fils de Dieu est vrai Dieu.
Si le Christ est le véritable Fils, il s'ensuit nécessairement qu'il est Dieu véritable. Ce qui est engendré, même s'il naît de la substance de celui qui l'engendre, ne peut être appelé vraiment fils que s'il est de même espèce que celui dont il procède. Si donc le Christ est vrai Fils de
Dieu, il faut qu'il soit vrai Dieu. Il n'est donc pas une créature.
Aucune créature ne reçoit en totalité la plénitude de la bonté de Dieu ; les perfections procèdent en effet de Dieu dans les créatures par une sorte de dérivation descendante. Or le Christ possède en lui, totalement, la plénitude de la bonté de Dieu, selon le mot de l'Apôtre : en lui habite la plénitude de la divinité. Le Christ n'est donc pas une créature.
L'intelligence des anges peut atteindre à une connaissance plus parfaite que celle des hommes, mais il s'en faut de beaucoup qu'elle atteigne à l'intelligence de Dieu. Or l'intelligence du Christ n'est pas, au plan de la connaissance, inférieure à l'intelligence divine. L'Apôtre le dit : dans le Christ se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la science. Le Christ, Fils de Dieu, n'est donc pas une créature.
Nous l'avons montré au Livre Premier : est l'essence même de Dieu tout ce que Dieu possède en lui. Or tout ce que le Père possède, appartient au Fils. Celui-ci l'affirme : tout ce que le Père possède est à moi ; et, s'adressant au Père, de dire encore : tout ce qui est à moi est à toi, tout ce qui est à toi est à moi. Le Père et le Fils ont donc même essence et même nature. Le Fils n'est donc pas une créature.
Dans l'Épître aux Philippiens, l'Apôtre écrit que le Fils, avant de s'anéantir en prenant la condition d'esclave, était dans la condition de Dieu. Par condition de Dieu, il ne faut pas entendre autre chose que la nature divine, tout comme par condition d'esclave il ne faut pas entendre autre chose que la nature humaine. Le Fils est donc établi dans la nature divine ; il n'est donc pas une créature.
Rien de créé ne peut s'égaler à Dieu. Or le Fils est égal au Père. Les Juifs cherchaient à le tuer, est-il écrit, non seulement parce qu'il violait le sabbat, mais parce qu'il appelait Dieu son Père, se faisant l'égal de Dieu. Tel est bien le sens du récit de l'Évangéliste dont le témoignage est véridique : le Christ se disait Fils de Dieu, égal à Dieu, et, pour cette
raison, les Juifs le persécutaient. Aucun disciple du Christ ne saurait mettre en doute la vérité de ce témoignage que le Christ porte sur lui-même, quand l'Apôtre, de son côté, dit que le Christ n'a pas cru devoir retenir jalousement son égalité avec le Père. Le Fils est donc l'égal du Père ; il n'est donc pas une créature.
On lit, au Psaume, que nul ne peut se comparer à Dieu, même parmi les anges auxquels est donné le titre de fils de Dieu : Qui est semblable à Dieu, parmi les fils de Dieu ? et ailleurs : Qui donc te sera semblable ? entendons : d'une parfaite ressemblance, nous l'avons vu au Livre Premier. Or le christ montre, dans sa manière même de vivre, la parfaite
ressemblance qu'il a avec le Père : Comme mon Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même. On ne peut donc compter le Christ parmi les créatures pourvues du titre de fils de Dieu.
Aucune substance créée ne peut être l'image adéquate de la substance divine ; quelque perfection qui apparaisse en quelque créature que ce soit, est inférieure à ce qu'est Dieu, si bien qu'aucune créature ne peut nous apprendre ce qu'est Dieu. Le Fils, lui, est l'image adéquate du Père : l'Apôtre dit en effet qu'il est l'image du Dieu invisible. Et pour qu'on ne
pense pas qu'il s'agit d'une image déficiente, incapable de représenter la substance même de Dieu et de faire connaître de Dieu ce qu'il est, - ainsi qu'il en va de l'homme dont il est dit qu'il est une image de Dieu -, l'Apôtre montre qu'il s'agit bien d'une image parfaite et qui représente la substance de Dieu, quand il dit qu'il est le rayonnement de sa gloire et
l'empreinte de sa substance. Le Fils n'est donc pas une créature.
Rien de ce qui est compris dans un genre n'est cause universelle des êtres qui sont contenus dans ce genre ; un homme ne peut être cause universelle des hommes, car rien n'est cause de soi-même. Le soleil, par contre, qui est en dehors du genre humain, est cause universelle de
la génération humaine, et Dieu plus encore. Or le Fils est cause universelle des créatures : Toutes choses ont été faites par lui, est-il écrit en saint Jean, et au Livre des Proverbes, la Sagesse engendrée affirme : J'étais à l'oeuvre auprès de lui. L'Apôtre dit encore qu'en lui tout a été créé, au ciel et sur la terre. Il n'appartient donc pas au genre des créatures.
Nous avons montré clairement au Deuxième Livre, que les anges, substances incorporelles, ne peuvent venir à l'existence que par création. Nous avons montré aussi qu'aucune substance ne peut créer, sinon Dieu seul. Mais Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est cause des anges, il les produit dans l'être : Trônes, Dominations, Principautés, Puissances, dit
l'Apôtre, tout a été créé par lui et en lui. Le Fils n'est donc pas une créature.
C'est de la nature même d'un être que découle l'action qui lui est propre ; nul ne peut avoir part à l'action propre d'un être sans avoir part à la nature même de cet être : l'être qui n'appartient pas à l'espèce humaine ne peut avoir d'activité humaine. Or les actions propres à Dieu conviennent au Fils : créer, contenir et conserver toutes choses dans l'être, purifier des péchés, autant d'activités qui sont le propre de Dieu. Or il est dit du Fils que toutes choses subsistent en lui ; qu'il soutient tout par sa puissante parole et qu'il purifie du péché. Le Fils de Dieu est donc de nature divine et non point une créature.
Mais tout ceci, Arius pourrait dire que le Fils ne le fait pas à titre d'agent principal, mais comme instrument de l'agent principal, n'agissant pas en vertu d'un pouvoir qui lui est propre, mais seulement en vertu du pouvoir de l'agent principal. Cette explication, le Seigneur lui-même l'exclut quand il dit : Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. De même donc que le Père agit par lui-même et de son propre pouvoir, de même le Fils.
De ce dernier texte on pourra conclure encore que le Père et le Fils ont même vertu et même pouvoir. Il affirme en effet non seulement que le Fils oeuvre à égalité avec le Père, mais qu'il accomplit à égalité les mêmes choses. Or deux ouvriers ne peuvent accomplir en équipe le
même ouvrage qu'en y travaillant soit de manière inégale, l'un à titre d'agent principal, l'autre à titre d'instrument, soit à égalité, associés dans une même puissance. Cette puissance peut être la somme d'efforts différents, venant de plusieurs agents, ainsi d'un grand nombre
d'hommes qui halent un navire : tous tirent d'un semblable effort, et parce que la force de chacun est limitée et qu'elle ne suffit pas à ce travail, de ces divers efforts résulte une force commune qui parvient à haler le navire. Il n'en peut aller de même pour le Père et pour le
Fils : la puissance de Dieu le Père, en effet, n'est pas imparfaite, mais infinie. Il faut donc que la puissance du Père et du Fils soit numériquement la même. Et comme la puissance est un effet de la nature, la nature et l'essence du Père et du Fils doivent être numériquement identiques.
Nous pouvons tirer la même conclusion des paragraphes qui précèdent. S'il est vrai en effet que le Fils est de nature divine, comme on l'a montré amplement, et que la nature divine ne peut être sujette à la multiplicité, il en résulte nécessairement qu'il y a chez le Père et chez le Fils même nature et même essence, une d'une identité numérique.
C'est en Dieu seul que réside notre ultime béatitude ; c'est en lui seul que l'homme doit placer son espérance ; c'est à lui seul que doit être rendu le culte de latrie. Or notre béatitude réside dans le Fils de Dieu. La vie éternelle, écrit saint Jean, c'est qu'ils te connaissent, toi, - c'est-à-dire le Père -, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Et Jean dit encore du Fils
qu'il est Dieu véritable et Vie éternelle. Or il est certain que l'expression de vie éternelle désigne dans les saintes Écritures la béatitude finale.
Dans un texte que cite l'Apôtre, Isaïe dit encore du Fils : Il paraîtra, le rejeton de Jessé, qui se lèvera pour commander aux Nations, en qui les Nations mettront leur espérance. Il est dit aussi dans le Psaume : Tous
les rois se prosterneront devant lui, toutes les nations le serviront ; et en saint Jean : Que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ; et de nouveau dans le Psaume : Vous tous, ses anges, adorez-le : verset que l'Apôtre cite à propos du Fils. Il est donc manifeste que le Fils de Dieu est vrai Dieu.
Valent ici d'ailleurs les preuves que nous avons produites plus haut pour montrer, contre Photin, que le Christ est Dieu véritable et non point un dieu créé.
Enseignée par tous ces textes et d'autres semblables, l'Église catholique professe que le Christ est vraiment et par nature Fils de Dieu, éternel, égal au Père, vrai Dieu, de même essence et de même nature que le Père, engendré, en aucune manière créé.
L'Église catholique est donc la seule à professer fidèlement qu'il y a génération en Dieu, quand elle voit dans cette génération du Fils le don de la nature divine que le Père fait au Fils. Les hérétiques, par contre, attribuent cette génération à une nature étrangère : Photin et Sabellius à la nature humaine, Arius, non pas à la nature humaine, mais à une certaine nature créée plus digne que les autres créatures. Arius, en outre, diverge d'avec Sabellius et d'avec Photin en ce qu'il affirme que cette génération a eu lieu avant la création du monde, alors que ceux-ci nient qu'elle ait eu lieu avant la naissance virginale. Sabellius se distingue de
Photin en ce qu'il confesse que le Christ est Dieu, vraiment par nature, alors que Photin et Arius le nient, Photin affirmant que le Christ n'est qu'un homme, Arius faisant du Christ une sorte de composé supérieur, de nature humano-divine. Ceux-ci reconnaissent que la personne du Fils est autre que celle du Père ; Sabellius le nie.
La Foi catholique, elle, cheminant par une voie d'équilibre, professe avec Arius et Photin, contre Sabellius, qu'autre est la personne du Père, autre celle du Fils, que le Fils est engendré, le Père absolument inengendré ; avec Sabellius, contre Photin et Arius, elle professe que le Christ est Dieu, vraiment et par nature, de même nature que le Père, bien que personne différente.
Ne peut-on tirer de tout cela un signe en faveur de la Vérité catholique ? Selon le mot du Philosophe, le faux lui-même porte témoignage : les affirmations erronées s'opposent en effet non seulement aux affirmations vraies, mais entre elles aussi.
Si réellement plusieurs "êtres" partagent la nature même de Dieu, alors ils ne peuvent se distinguer que sous le rapport des personnes; car la nature de Dieu est tout ce qu'il est.
Le mot substance ne se rattache aucunement à la matière: il désigne ce qu'est une chose en-dehors de ses accidents; ce qui subsiste en elle, ce qui constitue le fond de son être. Le terme nature désigne ce qu'est une chose en tant que principe d'opération; mais les deux termes, nature et substance, se rejoignent en ce qu'ils désignent l'essence.