La compassion dans le zen

La tradition du Mahayana, met l’accent sur la pratique altruiste du bodhisattva comme moyen pour parvenir à l’éveil, à la fois pour soi-même et pour les autres.
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Le courant bouddhisme mahāyāna, terme sanskrit signifiant « Grand Véhicule » apparaît vers le 1er siècle de notre ère dans le Nord de l’Inde. Actuellement le bouddhisme mahayana a une forte présence en Chine, au Tibet, au Japon au ve siècle, en Corée en 372, au Viêtnam, à Singapour et Taïwan. La tradition du Mahayana, met l’accent sur la pratique altruiste du bodhisattva comme moyen pour parvenir à l’éveil, à la fois pour soi-même et pour les autres.
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zeste de savoir

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La compassion dans le zen

Ecrit le 22 janv.18, 03:32

Message par zeste de savoir »

Teisho: L’importance de la compassion, Yuno Roland Rech

La compassion est tout à fait fondamentale dans notre pratique. Si on n’est pas animé par cet esprit de compassion et de bienveillance à l’égard de tous les êtres, notre pratique de la méditation peut même devenir dangereuse, car elle peut renforcer notre pouvoir finalement égotique, et pervertir le sens de la pratique. Par exemple dans les arts martiaux on veut méditer pour être plus fort, mieux concentré et mieux pourfendre ses adversaires ; c’est un exemple un peu extrême mais il y a des gens qui font zazen pour ça. Et des fois on voit des gens qui pratiquent zazen, même dans notre sangha, et que la pratique a tendance à durcir ; là, il y a une erreur quelque part.

Par ailleurs, certains sont tout à fait d’accord pour lâcher prise d’avec leurs attachements pendant zazen mais ne sont plus du tout d’accord pour faire de même dans la vie quotidienne. Donc zazen c’est une parenthèse : « D’accord, mais après non. »

Pour commencer je voudrais citer maître Nyojô, qui fut le maître de Dôgen, qui parle de certains adeptes du bouddhisme qui pratiquent la méditation assise, donc zazen, mais dont la compassion est faible : « Ils ne pénètrent pas le véritable caractère de toutes choses avec une compréhension profonde. Ils ne font que se perfectionner eux-mêmes, et ainsi ils brisent la lignée des bouddhas. Donc leur zazen n’est pas le véritable zazen de Bouddha. »

Il insiste en disant : « Ce que je veux dire, c’est que les bouddhas et les patriarches, dès leurs premières inspirations, s’assoient en zazen avec le vœu de réunir toutes les qualités de l’éveil et même de l’état de Bouddha, mais dans leur zazen ils n’oublient pas les êtres sensibles. » Ce qui veut dire qu’ils ont toujours des pensées d’amour et de compassion pour tous les êtres.

Ce n’est pas parce qu’on pratique zazen qu’on est naturellement très compatissant. Car il y a toutes sortes d’obstacles, dans notre karma, dans notre existence, à l’expression de cette compassion. Mais au moins si on fait ce vœu de compassion et si on considère que c’est le critère de la pratique juste, à ce moment-là on peut s’observer soi-même et voir où sont les obstacles intérieurs à l’expression de cette compassion. Quand un obstacle se manifeste et quand on ne se sent vraiment pas très compatissant, on peut se demander pourquoi. C’est comme un koan qui nous indique que là on devrait regarder ce qui se passe.

Je voudrais parler des moyens de stimuler l’esprit de compassion et de bienveillance. Ce que je crois fondamentalement, c’est que l’être humain est compatissant et bienveillant. Pas parce que je suis un grand idéaliste, mais parce que s’il n’y avait pas au fond de chacun d’entre nous cette empathie, cette capacité de se mettre à la place de l’autre, et donc d’éviter de le faire souffrir, l’humanité aurait disparu depuis longtemps. Si l’humanité continue de se développer, même s’il y a évidemment des conflits, des guerres, des massacres, c’est qu’il y a au fond des êtres humains cette capacité d’empathie. Alors comment la développer, jusqu’au point où cela change fondamentalement les relations humaines ?

Si la nature de bouddha en nous ne nous inspire pas davantage, je crois que c’est parce que nous souffrons d’une bévue, une erreur : nous nous identifions à une idée que nous nous faisons de nous-mêmes qui est erronée et qu’on appelle moi. Nous nous identifions à notre ego, à notre histoire, à nos préférences, et on finit par se dire « moi je suis quelqu'un comme ci ou comme ça ». Et on finit par y croire c'est-à-dire qu’on construit une certaine identité personnelle, et on s’y attache. On en fait éventuellement une sorte de carapace, une armure et on considère que tout ce qui peut menacer l’image que l’on a de soi-même est dangereux, est notre ennemi, qu’il faut se défendre contre ce qui menace cette image, et, en sens inverse, on devient avide de tout ce qui peut nous permettre de renforcer cette image que nous avons de nous-mêmes ; augmenter son pouvoir son prestige, son importance.
C’est pour cela que Dôgen et avant lui Nyojô, puis ensuite Keizan, parlent de se dépouiller, de lâcher prise, d’abandonner l’attachement au corps et à l’esprit pendant zazen, c'est-à-dire à une certaine représentation que nous avons de notre corps et de notre esprit, colorée par notre karma, les idées que l’on se fait sur soi-même.

Pour cela, le mieux c’est d’essayer. Par exemple quand on est dans un groupe, si on campe sur ses positions très souvent on peut voir comment tout le monde se raidit et devient agressif. Tout le monde entre dans une sorte de compétition. Toutes les coagulations mentales des uns et des autres se durcissent et s’opposent. Mais si quelqu'un fait demi-tour et lâche prise complètement d’avec sa position, d’un seul coup tout le monde est surpris et se dit : « Oui pourquoi pas lâcher ? » Je crois beaucoup à cette vertu de commencer par oser lâcher prise. Pas seulement en zazen, mais aussi dans la vie quotidienne. Pour ça il faut encore comprendre que ce lâcher- prise n’est pas un endommagement ni un sacrifice.
Là je crois qu’il faut préciser quelque chose au sujet des désirs. Dans l’enseignement du Bouddha on parle souvent d’abandonner les désirs. Mais le désir c’est la vie, sans désir nous ne serions pas là.

Il faut comprendre. Quand par exemple maître Nyojô parle d’abandonner les cinq désirs et les cinq obstacles, il s’agit d’abandonner les obstacles à la méditation. Par exemple si pendant zazen on est obsédé sexuel, qu’on a des scénarios qui nous tournent dans la tête, des fantasmes, qu’on attend impatiemment la fin du zazen pour se rapprocher de la personne que l’on désire, ça rend la pratique très difficile, c’est vraiment un obstacle. Même chose si pendant zazen on éprouve de la colère, par exemple pour avoir été critiqué ou lésé d’une manière ou d’une autre, et que l’on en veut vraiment à quelqu’un, on est vraiment hargneux, on cogite la manière de se venger. Il est clair que ça va être un véritable poison qui va nous ronger dans la pratique, on peut très bien l’expérimenter. C’est pour ça qu’on parle d’obstacle. Même chose pour la torpeur, pour l’agitation, les remords. Il est clair que ces cinq obstacles sont des vrais obstacles à la pratique de la méditation, donc il est recommandé de les laisser tomber.

Mais en même temps si on réfléchit on voit bien que ce sont aussi des obstacles à la compassion et à la bienveillance. Par exemple si on est obsédé sexuel, il est clair que l’autre a tendance à devenir un objet de satisfaction. Il en est de même pour les autres obstacles : la colère évidemment va totalement à l’encontre de la compassion, et d’ailleurs un des remèdes à la colère c’est, au moment où on est en colère, de faire surgir en nous l’esprit d’empathie. On est en colère contre quelqu’un et on campe sur notre position, ce que l’autre a fait est inacceptable pour nous. Mais si on se met à sa place, peut-être que ça va atténuer la colère. A ce moment, la colère ayant diminué, si l’on a pu percevoir par empathie ce qui a mis l’autre en colère, on peut trouver éventuellement le moyen habile de résoudre la situation. Parce que la colère peut aussi être tout à fait justifiée, par une injustice ou quelque chose d’erroné commis par l’autre. Mais quand on est sous l’emprise de la colère on ne peut pas résoudre convenablement la situation.

Dans la vie quotidienne c’est évidemment un peu différent du zazen. Les recommandations qui ont été faites par le Bouddha, par Nyojô, aux moines, s’adressaient évidemment à des êtres qui avaient fait le vœu de tout abandonner pour venir vivre au monastère, et donc d’abandonner toute relation sexuelle par exemple. Mais dans le bouddhisme zen depuis un siècle la question est un peu différente. La question est : comment vivre nos désirs de manière à ce qu’ils n’entraînent pas autour de nous de la souffrance ? Le sens de notre pratique dans la vie quotidienne est d’abandonner le caractère négatif de nos désirs, ce qui est égoïste et conduit à la souffrance. Et au contraire de faire en sorte que nos désirs contribuent à bodai shin, à l’esprit d’éveil.

Cela évidemment demande beaucoup de sagesse et de se connaître soi-même suffisamment pour que notre empathie se développe vis-à-vis des autres. Car un aspect fondamental de la compassion, c’est de traiter autrui comme nous voudrions être traités nous-mêmes. Cela nécessite de développer notre propre sensibilité à comment on voudrait être traité. C’est aussi être capable de faire l’aller-retour entre notre position et la position de l’autre, de manière fluide. Je crois que zazen, avec cette pratique que nous avons de laisser passer, assouplit notre esprit et le rend plus apte à passer de sa propre position à la position de l’autre.

Si vous êtes au bar en train de discuter avec quelqu'un, et que ce que l’autre vous raconte vous paraît étrange ou que vous n’êtes pas d’accord, si vous vous dites : « Je laisse tomber mon point de vue, j’essaye de me mettre à la place de l’autre », à ce moment-là le bar devient un très bon lieu de pratique où on rencontre les gens très librement, sans formalisme, sans rôle défini, sans position spéciale. Là, on se retrouve dans une position tout à fait semblable, égale, et on peut vraiment essayer de pratiquer cet échange.

Je crois qu’on ne peut pas comprendre l’autre juste intellectuellement. Je crois que le propre de la relation humaine, et surtout quand on a fait le vœu d’aider les êtres, c’est la capacité de se mettre vraiment à la place de l’autre. Mais ça ne veut pas dire d’y rester. C’est ce que j’appelle l’aller-retour : on se met à la place de l’autre et on revient à sa position. Mais au moment où on s’est mis à la place de l’autre, on a pu ressentir quelque chose qui va nous guider pour lui venir en aide. Tandis que si on considère l’autre comme un objet d’observation, ça ne peut pas déclencher en nous l’attitude qui va être vraiment aidante.

Je suis persuadé que beaucoup de choses que l’on essaye de développer au niveau de nos qualités humaines sont des choses dont on a perdu le potentiel. A cause justement des peurs qu’on développe. On se construit avec un certain système de défense par rapport à ce qui a pu nous blesser dans la vie, à chaque fois qu’on éprouve une blessure, on rajoute une couche de protection et au bout d’un moment on devient complètement blindé. Peut-être pas toujours, mais la tendance est comme ça : avec l’âge, avec les mauvaises expériences que l’on peut faire, on a tendance à se durcir. Et du coup on perd cette capacité d’empathie, de bienveillance, de compassion parce qu’on est de plus en plus sur la défensive.

Par exemple je connais un enfant qui la première fois qu’il m’a vu avait 3 ans. Il avait été amené par sa mère dans une sesshin. Il ne me connaissait pas et il m’a fait un cadeau de quelque chose qu’il aimait bien. Il me l’a donné, avant même de dire bonjour. Ensuite il est allé à l’école, maintenant il a 8 ans et il est devenu complètement radin. Il a sa tirelire et on sent qu’il est vraiment attaché à ses sous. A 3 ans, il ne réfléchissait pas, c’était naturel.
Pratiquer les paramita du bodhisattva, c’est retrouver cet esprit pur qu’on a pu avoir et qui a été corrompu, notamment du fait de nos mauvaises expériences. Mais ces mauvaises expériences sont liées au fait que tout le monde en société reste dans son ego. Si personne ne veut commencer par lâcher, c’est constamment l’affrontement. Par exemple cet enfant, probablement, est allé à l’école, il est tombé sur d’autres qui étaient durs avec lui, qui l’ont exploité ou volé. Et il s’est dit : « Il faut que je me défende, ce qui est à moi est à moi. » Et sa mère a dû lui dire : « Il ne faut pas te laisser faire, tu donnes tous tes jouets aux autres… il faut les garder pour toi. » Voilà comment les choses se développent.

Donc je crois que le bodhisattva que nous essayons d’être est un être qui doit avoir profondément confiance dans la nature de bouddha de chacun et oser prendre le risque de vivre en harmonie avec cela. Même au péril d’être endommagé parfois. Mais si on s’aperçoit qu’on est systématiquement endommagé par la même personne qui a vraiment un mauvais esprit, à ce moment il faut agir de manière plus sage. Néanmoins, je crois qu’il faut faire le pari de l’amour et de la compassion. Il vaut mieux faire ce pari car l’inverse est bien pire. Mais cela implique de vaincre la peur de l’ego d’être endommagé. C’est intéressant d’observer nos peurs de perdre, de ne pas avoir assez, de manquer. Pas seulement le temps où on est sur le zafu, mais dans tous les moments de la vie quotidienne. Et travailler à transformer cela.

http://www.zen-azi.org/node/1432

zeste de savoir

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Re: La compassion dans le zen

Ecrit le 12 mars18, 09:57

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