Vicomte a écrit :À propos de Bernard d'Espagnat :
Je ne puis m'empêcher de penser à cet argument que l'on me fit jadis : « Einstein avait des amis rabbins, c'est la preuve qu'il était croyant » (et, implicitement, comme Einstein est très intelligent, plus intelligent que moi, il sait mieux que moi si dieu existe ou non). Je ne dis pas du tout que c'est ce que tu affirmes, mais encore une fois, tu ne fais que recueillir l'avis de personnes éminentes sans te saisir de leur cheminement logique.
Lorsque j'ai échangé avec d'Espagnat, ce n'était que sur des arguments logiques. Son avis, ses croyances, je n'en ai rien à faire. C'est au savant que je m'adressais, pas à l'homme.
En l'occurrence, tu as beau dire, mais dans aucune de ses recherches, aucune de ses démonstrations logiques, aucune de ses publications scientifiques il n'évoque à un seul moment un seul argument permettant de constituer le moindre début de preuve de ce que tu avances. Si je me trompe, merci de me citer un texte scientifique, épistémologique ou simplement logique de d'Espagnat, et pas un simple avis.
L’avis de Bernard d’Espagnat sur les résultats de la MQ et leurs implications découle en droite ligne de son cheminement logique. Son avis est d’ailleurs tout à fait cohérent avec la conclusion qu’il tire quant à l’existence du « réel voilé ». Comme je te l’ai déjà indiqué, l’avis d’un physicien professionnel concernant son domaine de spécialisation est pour moi un gage de crédibilité, ce qui est le cas de Bernard d’Espagnat lorsqu’il s’essaye (avec brio d’ailleurs) à des considérations sur les implications du paradoxe EPR.
Je vais donc accéder à ta demande et citer un texte épistémologique de d’Espagnat confirmant largement la thèse que je défends : il est démontré qu’un autre niveau de réalité que l’espace-temps existe.
L’article ci-dessous est une conférence - intitulée « La Physique quantique ou la fin de la vision mécaniste de l’Univers » donnée par Bernard d’Espagnat au Colloque international Science pour Demain qui eut lieu les 23 et 24 février 1991 à Paris.
Introduction
Il s’agit d’introduire le sujet de telle manière que les esprits auxquels il est jusqu’ici resté étranger puissent reconnaître qu’il a un sens. Dans cette perspective, je ne saurais mieux faire je crois, que de centrer une bonne part de mon exposé sur une critique du mécanicisme. Certes, je le sais bien, en paroles, tout le monde ou presque aujourd’hui répudie le mécanicisme, mais en fait le mécanicisme demeure très vivace dans le substrat de l’esprit des gens… en tout cas de beaucoup de gens. Et il s’y trouve même renforcé par le fait que certaines disciplines qui ont fait de grands progrès dans les dernières décennies, je pense à la biologie moléculaire, aux neuro-sciences, etc… sont des sciences qui présentent deux caractéristiques. La première est qu’elles visent à réduire l’objet de leur étude à des phénomènes physiques : et la seconde, c’est que, justement, les phénomènes physiques auxquels ces sciences réduisent (avec un beau succès, d’ailleurs) l’objet de leur étude, sont de ceux qui, en apparence, peuvent être décrits par le schéma mécaniciste. Je pense à ces molécules qui s’enclenchent les unes dans les autres, ou bien qui servent de moule les unes pour les autres. En apparence du moins, tout cela s’inscrit dans une vision mécaniciste. Donc, dans ces conditions, je pense qu’il est important de se demander, premièrement, si la philosophie du mécanicisme est vraiment réfutée par la physique comme au début de ce siècle on a souvent dit qu’elle l’était, (car ma conclusion sera qu’elle l’est), eh bien, si oui, où cela nous mène-t-il ? Et nous verrons que cela nous mène assez loin. Donc, ce sont ces deux points que je me propose d’examiner.
Description et réfutation du mécanicisme
Tout le monde sait, grosso modo, que le mécanicisme est l’idée que l’être, l’univers, autrement dit, tout ce qui est, peut être décrit comme une mécanique. Si on creuse un peu plus précisément dans ce qu’est le mécanicisme, je crois que l’on y trouve deux idées constitutives. Elles ne sont pas toujours exprimés, mais en constituent les fondements. La première de ces idées, c’est que tout est descriptible - au moins qualitativement - au moyen des seuls concepts familiers ou de concepts obtenus à partir de ceux-ci par des chaînes relativement courtes d’abstractions ou de généralisations. En somme, c’est l’idée que le réel est construit un peu à la manière des chronomètres de grand-papa. Je ne pense pas aux horloges à quartz, mais à ces chronomètres là. C’est très subtil, un vieux chronomètre, c’est très compliqué c’est très complexe, cela comporte toutes sortes de ressorts variés, des roues dentées de toutes les dimensions et tout cela n’est pas mis au hasard, tout cela est agencé de façon très délicate. Donc, je le répète, un chronomètre est, d’une certaine manière, quelque chose de très subtil. Mais il n’empêche que les concepts qui nous permettent qualitativement de décrire le chronomètre et ses diverses parties sont des concepts simples et familiers. Ce sont le concept de ressort - et tout le monde a vu des ressorts -, le concept de roue dentée -, tout le monde a vu des roues dentées - et le concept de force de contact qui est la force qui joue quand une roue dentée engrène dans une autre roue dentée. Il y a une force qui pousse, l’un des engrenages pousse l’autre : or, cette notion de force de contact est aussi une notion élémentaire, banale, nous avons tous vu quelqu’un pousser quelque chose… Ainsi, les concepts plus ou moins familiers à la base du mécanicisme ne posent pas, du moins en apparence, de "problèmes conceptuels". Pour les philosophes, ils en posent peut-être. Mais on peut se dire que c’est là leur affaire. Pour nous, d’emblée, comme ça, ils n’en posent pas. Or, vous savez (ce n’est pas à vous que je l’apprendrai !) que la physique contemporaine réfute cette première idée, cette idée que la réalité peut être décrite au moyen de concepts familiers. Pour le montrer, on peut remonter loin, mais il peut suffire de n’aller que jusqu’à la relativité restreinte, la première relativité, celle d’Einstein de 1905, qui a introduit la notion d’espace-temps. Car la notion d’espace-temps, ce n’est pas du tout un concept familier. Dans l’espace-temps, si vous changez de référentiel, le temps se transforme en partie en espace, et inversement. Eh bien, indéniablement, cette idée-là ne fait partie ni de nos idées intuitives, ni des abstractions simples que l’on pourrait tirer de nos idées intuitives. Si vous essayez de remonter à des philosophies plus ou moins traditionnelles, vous ne trouverez rien de semblable. Donc, c’est vraiment quelque chose qui dépasse tout à fait nos concepts familiers. La physique pourtant reconnaît que ce nouveau concept est nécessaire. Et je ne parle même pas de la relativité générale, qui renchérit là-dessus avec des espaces courbes et tutti quanti, choses qui ne sont manifestement pas des concepts familiers. Si l’on passe du côté de la théorie des particules dites élémentaires, l’on trouve quelque chose d’encore plus frappant, c’est le phénomène de création et d’annihilation : parce que là, le mouvement se trouve transformé en objet. Vous prenez deux protons, ils ont un certain mouvement, une certaine vitesse, une certaine énergie cinétique donc, vous les faites se rencontrer, puis ils se séparent de nouveau, vous avez toujours les deux protons, mais le mouvement de ces protons a été en partie transformé : on a vu apparaître d’autres particules qui ont été créées par ce mouvement. Or, un mouvement, c’est une propriété des objets, et par conséquent vous avez là une transformation d’une propriété d’objet en objet. Cela, c’est quelque chose qui dépasse tout à fait nos concepts familiers. En effet, dans l’attirail de nos concepts familiers, il y a d’une part les objets, et d’autre part les propriétés de ces objets : et normalement, ce sont là deux catégories de pensée qui ne se transforment pas l’une dans l’autre. Évoquer une telle transformation paraît aussi absurde que si on disait qu’on peut transformer la hauteur de la Tour Eiffel en une autre Tour Eiffel, ou bien le mouvement d’un taxi en un autre taxi. Ceci pour vous faire comprendre qu’il y a vraiment dans la physique moderne un dépassement nécessaire des concepts familiers. Donc, cette première idée du mécanicisme se trouve par là réfutée. La deuxième idée de base du mécanicisme, je l’appellerais l’idée de divisibilité par la pensée. C’est l’idée, en somme, que - à supposer que l’on connaisse les lois physiques - si, de plus, on connaît de façon exacte l’ensemble des parties d’un système, on connaît de ce fait le système tout entier. C’est là une idée qui n’est pas toujours explicitée, qui en général ne l’est pas, mais qui est tout de même une idée fondamentale du mécanicisme. Prenez par exemple le système solaire, envisagé du point de vue de l’astronomie classique : si, dans un référentiel donné que vous avez choisi, vous connaissez à un certain instant la position et la vitesse de tous les astres qui composent le système, vous pouvez tout calculer ensuite : vous pouvez calculer ce que va devenir ce système, ce qu’il était, etc… Donc vous connaissez ce système, il n’y a rien d’autre à connaître que cela. Vous pouvez aussi calculer, naturellement, toutes les corrélations qui auront lieu à n’importe quel moment entre les diverses planètes. etc… Donc, en physique classique, et en particulier dans la vision mécaniciste, il va de soi que l’on peut diviser les systèmes, comme cela, en parties. Eh bien, cette deuxième idée aussi est réfutée. Cette fois par la physique quantique. Prenez deux systèmes, par exemple, deux particules élémentaires, deux protons, deux systèmes quantiques en général, et faites-les se rencontrer. Supposons qu’ils entrent en interaction pendant un certain temps, puis se séparent. Après cette séparation, en général, ces deux systèmes, vous ne pouvez plus les décrire chacun par le moyen de fonctions d’onde, car ils n’ont pas chacun une fonction d’onde. En mécanique quantique « standard » (celle que l’on trouve dans les manuels), si vous voulez parler quand même, séparément de chacun des deux sous systèmes protons ou autres qui composent le système global, après l’interaction vous ne pouvez le faire qu’au moyen d’une certaine entité mathématique que nous appelons matrice-densité. Après interaction, vous pouvez, effectivement, attribuer à chacun une matrice-densité et cette matrice-densité décrit au mieux chacun des sous-systèmes. Mais attention. Même si je connais les lois de force, les lois de la physique, les potentiels d’interaction, enfin, toutes les lois, générales ou particulières que je dois connaître pour traiter le problème, si vous me donnez la connaissance de ces deux matrices-densité, je ne peux pas en déduire la connaissance du système global. En particulier, je ne peux pas en déduire les corrélations entre ces deux sous-systèmes, corrélations que, cependant, nous pourrons très bien observer ; mais on ne peut pas les déduire de la connaissance des deux matrices-densité. C’est pour cette raison que Herman Weyl disait : « la mécanique quantique est la première théorie holiste qui marche », entendez, qui marche quantitativement (holiste, de « holos », qui veut dire le tout). Il y avait jusqu’alors des « théories holistes », en des domaines autres que la physique (Gestalt Theorie, etc…) mais, en général, tout cela était resté qualitatif et un peu flou. Gestalt Theorie, la théorie quantique est une théorie holiste et une théorie qui marche quantitativement puisque, comme vous le savez, c’est une théorie extrêmement raffinée qui permet de calculer les phénomènes avec une précision quelquefois admirable. Alors, vous voyez, cette deuxième idée de divisibilité par la pensée est elle aussi, réfutée par la science moderne.
Le danger de la vulgarisation
Je voudrais ici ouvrir une parenthèse, si vous le permettez, parce que je pense qu’il y a là un point qui peut être préoccupant. Et ce point est le suivant : c’est que ces deux idées, qui sont donc réfutées, il est très difficile de faire saisir au lecteur, quand on écrit un livre de vulgarisation, qu’effectivement elles le sont. Pourquoi ? Eh bien, prenez, par exemple, la première, l’idée que tout est descriptif en termes de concepts familiers. Quand on écrit un livre pour un public peu considérable : évidemment, on cherche à être lu. Pour être lu, il faut être compris sans effort, et pour être ainsi compris d’une grande quantité de gens, il faut leur parler un langage qui leur soit d’emblée accessible, c’est-à-dire qu’il faut utiliser des concepts qu’ils ont déjà, et rien que des concepts qu’ils ont déjà. Et donc, il faut s’exprimer d’un bout à l’autre en termes de concepts familiers : et je pense que c’est la raison qui fait que même les grands physiciens, à l’heure actuelle, trichent en général quand ils écrivent ce genre de livre. Ils trichent en ce sens que, lorsqu’ils décrivent par exemple les gaz de l’univers primitif, ou de telles choses, ils laissent entendre - ils ne le disent pas, naturellement, parce qu’ils savent que c’est faux - mais ils laissent quand même entendre implicitement que ces gaz, ce sont des ensembles de petites boules qui s’entre-choquent. Or, cela est faux. Nous venons de voir que cela est tout à fait faux. Mais il est très difficile de ne pas, justement, quoiqu’on en ait, émettre ce message, qui est faux, quand on écrit ce genre de livre. Malheureusement, c’est là quelque chose qui se produit beaucoup, et j’avoue que cela me préoccupe. Cela me préoccupe, au premier chef, parce qu’il est fâcheux de voir ainsi disséminées, et érigé en absolus, des idées qui, ainsi comprises, sont insoutenables ; mais également du fait que cette vision mécaniciste, en fait, est une vision réductrice et très triste. Même si l’on vous dit que l’univers est « très grand » et donc « très beau », l’idée qu’il est composé comme cela est quand même une idée triste. L’être devrait être plus que cela. Certes, si une telle idée était vraie, il faudrait s’incliner, naturellement : ce qui compte avant tout, c’est la vérité ; qu’elle soit gaie ou triste. Ce n’est pas ce qui doit nous déterminer, mais lorsque, de plus, nous constatons que cette vision réductrice du monde est convoyée dans l’esprit des gens par des inférences qui sont fausses, et qu’involontairement bien sûr, le message de la science se trouve ainsi en quelque sorte frelaté, je crois qu’il y a vraiment de quoi être préoccupé.
Une problématique : l’objectivité Je ferme cette parenthèse et je continue en remarquant que la constatation que nous venons de faire sur les faiblesses du mécanicisme conduit à se demander si d’autres idées du mécanicisme ne devraient pas, elles aussi, être soumises à un examen critique. Et si on se pose ces questions-là, on en voit tout de suite une qui est la notion d’objectivité. Ici, je ne résiste pas au plaisir de vous donner un exemple. Il s’agit d’une référence un peu ancienne, mais qui montre bien le danger qu’il peut y avoir à recouvrir d’un même mot deux notions toutes différentes. Je pense à ce passage des Provinciales de Blaise Pascal, où il traite de la notion de grâce suffisante. Comme vous le savez les amis jansénistes de Pascal niaient cette notion de grâce suffisante, et ils étaient pour cette raison attaqués par la plupart des groupes religieux de l’époque, les jésuites, les dominicains, les molinistes, etc… Pascal, faussement naïf, imagine un personnage qui va voir successivement ces divers groupes d’opposants, qui leur dit à chacun : « Il faut que je me fasse une opinion, il faut que je parle de la grâce suffisante aux gens, qu’est-ce que la grâce suffisante ? », et qui reçoit à chaque fois une définition différente. A la fin, il demande à son dernier interlocuteur : « Mais enfin, mon père il faut bien que je dise quelque chose : si on me demande mon opinion à propos de la notion de grâce suffisante, que dois je dire ? » Et le Révérend Père de répondre : « Mais, mon fils, c’est extrêmement simple, vous n’avez qu’à dire que l’on doit croire à la grâce suffisante ; et vous devez surtout bien vous garder de définir cette expression ». Avec la notion d’objectivité il se passe quelque chose de similaire. Je grossis peut-être le trait, mais, dans un sens, pas tellement. Et c’est peut-être plus grave pour la notion d’objectivité que pour la notion de grâce suffisante. Il se passe quelque chose de similaire parce que nous, scientifiques, nous disons : « La science est objective », « La science est objective », « La science est objective », nous « sautons comme des cabris sur nos chaises » (pour employer l’image gaullienne) quand nous disons cela mais en le disant, nous ne sommes pas tous d’accord sur ce que nous voulons dire, parce qu’il y a au moins deux définitions possibles de la notion d’objectivité. Parlons, si vous voulez, de l’objectivité des énoncés, et en particulier des énoncés de base de la physique. Nous avons, en particulier en physique classique, des énoncés qui sont ce que j’appelle à objectivité forte. Ce sont des énoncés qui sont objectifs en ce sens qu’ils peuvent être interprétés comme portant sur les choses elles-mêmes, tout à fait indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir, et en général, ils sont interprétés comme cela. L’énoncé de la loi fondamentale de la gravitation : Entre deux objets massifs il existe une force inversement proportionnelle au carré de la distance est un énoncé où l’être humain n’apparaît pas, qui peut être supposé porter sur les choses elles-mêmes et qui, en règle générale, est effectivement compris ainsi. La plupart des énoncés scientifiques, et en tout cas les énoncés de base de la physique classique, sont rédigés en de tels termes et sont en général compris de cette façon. Ce qui se passe, c’est qu’en mécanique quantique standard, les choses ne se passent pas de cette manière. Quand on demandait à Bohr si la physique était objective ou subjective, il répondait : « Bien entendu elle est objective puisque ses énoncés sont valables pour n’importe qui ! » C’est là une deuxième définition de l’objectivité, c’est ce que j’appelle l’objectivité faible. Je dirais qu’un énoncé est à l’objectivité faible quand il est valable pour n’importe qui, quand il est invariant par une permutation des expérimentateurs ou des observateurs. De tels énoncés sont par exemple ceux qui se formulent sous forme de règle : « Si l’on fait ceci, on observera cela », ou, « on aura telle ou telle chance d’observer cela ». Le point essentiel, c’est que, parmi les axiomes de la mécanique quantique « standard », ceux que l’on enseigne, il y en a certains qui sont à objectivité faible et qui ne peuvent pas être traduits en termes d’objectivité forte. C’est là une chose qui, je crois, est très importante, et que la plupart d’entre nous, physiciens, « brossons sous le tapis » trop volontiers. Nous n’aimons pas cette distinction entre ces deux notions d’objectivité, et dont nous faisons tout notre, possible pour n’en jamais parler, et pour faire semblant que la difficulté n’existe pas. Parmi ceux qui, malgré tout, sont conscients de sa présence, certains proposent des formulations plus compliquées, susceptibles de la faire disparaître. (Ce sont les modèles non standards, celui de Bohm, etc…, dont je dirai un mot plus loin), et d’autres tentent de la noyer dans une « décohérence » macroscopique. Mais dans ce dernier cas, si on examine bien les choses, on la retrouve. J’entends que, dans ce cas, il reste des axiomes que l’on ne peut vraiment pas transformer en énoncés à objectivité forte : Il y a la collectivité des êtres humains qui est en jeu, cachée quelque part. Elle intervient soit directement, soit indirectement, par la notion d »’ instruments », soit encore par des références faites à l’impossibilité pratique de faire telle ou telle mesure. Encore une fois : dans les formulations de la mécanique quantique, considérées (à juste titre) comme assez sérieuses pour faire l’objet d’un enseignement public, il reste toujours un tel élément. En général, nous n’en parlons pas, ou quand nous en parlons, nous disons « Ce sont des problèmes philosophiques, et par conséquent e ». Mais, comme d’autre part, dès qu’il s’agit de mécanique quantique, les philosophes se déclarent volontiers incompétents, ceci ne nous avance guère ! Un point qui, à mon sens, doit être souligné, est celui-ci : le fait que certains des énoncés de la mécanique quantique standard sont à objectivité faible interdit la philosophie appelée parfois platonicienne ou pythagoricienne, qui était celle d’Einstein dans la deuxième partie de son existence, qui est aussi celle de beaucoup de physiciens théoriciens n’ayant pas particulièrement réfléchi à ces questions-là, et qui consiste à dire, « Certes, l’on ne peut pas décrire le réel au moyen de concepts familiers - nous sommes d’accord là-dessus - mais on peut le décrire au moyen de concepts empruntés aux mathématiques ». Dans cette philosophie, la physique serait encore une ontologie, c’est-à-dire une description de ce qui est. Une chose qui me parait claire est que le fait que certains des énoncés de la mécanique quantique standard ne peuvent pas être transformés en énoncés à objectivité forte rend cette philosophie du réalisme mathématique, ou du pythagorisme si vous voulez, inconciliable avec la mécanique dont il s’agit. Ici, l’honnêteté m’oblige à dire qu’il y a même une échappatoire. Si l’on veut vraiment une physique à objectivité forte (selon la tradition de la physique classique), cela est possible. Il faut se tourner vers les théories dites à variables cachées, des théories style Louis de Broglie, David Bohm, etc… A ce prix-là, on peut récupérer l’objectivité forte, mais c’est un prix qui est terriblement élevé parce qu’il y a des difficultés dans ces théories, en particulier du côté de la relativité. Le point est important mais délicat. Il requiert une discussion approfondie que nous n’avons pas le temps même d’aborder.
Dernière question : cette nécessité de faire appel à la notion d’objectivité faible dans certains des énoncés de la physique, donc de dire que la physique n’est pas une description du réel tel qu’il est, mais une description des phénomènes tels qu’ils nous apparaissent, est-ce que cela n’est pas un retour vers l’idéalisme ?
Le « Réel voilé »
A ce sujet, je voudrais simplement dire que je n’ai jamais bien compris ce que les idéalistes veulent dire, le contenu véritable de la philosophie idéaliste m’échappe. Il y a des philosophes de ce type que je comprends. Je ne dis pas que je les approuve ni que j’y crois, mais au moins je comprends ce qu’elles veulent dire. Le solipsisme par exemple, cela veut dire que seul mon esprit existe vraiment, et que mon corps, cette table, vous autres, êtes des émanations de mon esprit, des espèces de rêves que j’ai. Je n’y crois pas une seconde, mais au moins je comprends ce que dit la philosophie solipsiste. De la même façon, disons, je pourrais comprendre une espèce de « solipsisme collectif » si vous me permettez cette expression bizarre, qui consisterait à conférer aux esprits humains une sorte de privilège d’existence ; à dire en somme : seule « existe vraiment » la collectivité des esprits humains, leurs corps, etc., étant des espèces d’hallucinations collectives que ces esprits humains ont. Cette théorie-là, je comprends au moins ce qu’elle dit, bien que je n’y croie pas. Eh bien, justement, est-ce cela l’idéalisme ? Voilà la question. Je n’en sais rien, je soupçonne pourtant que ce n’est pas tout à fait cela, puisque l’idéalisme n’est jamais énoncé par ses partisans de cette manière. Je crois, moi, que les idéalistes ont quand même vaguement derrière la tête l’idée d’un réel qui ne serait pas une émanation de l’ensemble des esprits. Bon, je ne peux pas parler pour eux mais en tout cas je dirais que, en ce qui me concerne, je ne peux pas me passer d’une telle notion, sauf à retomber dans le « solipsisme collectif », dont je ne veux pas. Je reconnais qu’il y a là de ma part une option philosophique mais je refuse le « solipsisme collectif », tel que défini il y a un instant. Et, par conséquent, je suis bien obligé d’admettre l’idée d’un réel qui ne se réduit pas simplement à l’ensemble des esprits humains. Mais, si vous me suivez en cela, c’est le moment maintenant de nous rappeler ce que nous avons dit précédemment, et qui revient à dire que ce réel, ce n’est pas ce que nous décrit la science. Pourquoi ? Parce que, si la science nous le décrivait, naturellement une telle description devrait être faite en termes d’objectivité forte. Or nous avons vu justement que, apparemment, la science ne peut pas être formulée rien qu’au moyen d’énoncés à objectivité forte. Donc, nous sommes obliges d’admettre que le réel, ce n’est pas vraiment ce que la science nous décrit. La science nous décrit, certes, des phénomènes, mais ce n’est pas une ontologie. Elle ne nous décrit pas le Réel avec un grand R, cette chose dont nous avons admis à l’instant la nécessité pour échapper au « solipsisme collectif ». Maintenant, reste une toute dernière question, à savoir : ce Réel, dont il vient de nous apparaître qu’il n’est pas, à proprement parler, connaissable par la science (pour les raisons que je viens de vous dire), est-ce qu’il est totalement inconnaissable et par conséquent inintéressant, un peu comme « la chose en soi » de Kant, ou bien est-ce qu’il n’est que « voilé », c’est-à-dire, est-ce que nous avons sur lui, quand même, quelques lueurs ? Je n’ai pas le temps de développer mes arguments à ce sujet, mais je pense en avoir qui sont valables en faveur de la deuxième réponse : c’est-à-dire que je pense que ce réel n’est que voilé, que nous avons des lueurs valables sur lui. Certaines de ces lueurs nous sont données par la science, parce que, au moins, elle restreint l’éventail des idées possibles, ce qui est déjà une certaine manière de nous donner quelques lueurs ; et je n’exclus pas la possibilité que d’autres modes de pensée donnent également certaines lueurs sur ce réel.
Vicomte a écrit :Je suis désolé mais un discours scientifique rigoureux ne doit laisser aucune place au flottement des concepts. Je ne joue pas au chat et à la souris avec toi, je crois au contraire que nous touchons au nœud du problème. Je pense que les concepts rationnels que tu emploies sont enracinés dans des représentations irrationnelles.
Un discours scientifique digne de ce nom n'emploie que des concepts clairement définis. Les mots « nature » et « causalité », par exemple, le sont. Dans mon laboratoire, ils ont l'acception suivante :
- Nature : ensemble des propriétés d'un objet ou d'un phénomène et qui permettent de le définir.
- Causalité : relation constante et nécessaire entre les phénomènes considérés
Compte tenu de ces acceptions, pourquoi ne puis-je pas dire que la nature de la conscience est une activité particulière de l'esprit, envisagé comme représentation de l'activité neurologique du sujet ? Il me semble que j'ai défini là la nature de la conscience. Si tu affirmes que ça ne l'est pas, il t'appartient bien de définir ce que tu nommes nature et de démontrer pourquoi l'acception que je propose est épistémologiquement insuffisante.
Tu ne peux pas dire que « la nature de la conscience est une activité particulière de l'esprit, envisagé comme représentation de l'activité neurologique du sujet » pour la simple raison que d’après la définition de « nature » que tu donnes (avec laquelle je suis parfaitement d’accord), il te faut connaître « l’ENSEMBLE des propriétés » de la conscience pour pouvoir prétendre en connaître la nature.
Or ni toi ni la science ne connaissez l’ENSEMBLE des propriétés de la conscience, pas plus que vous ne connaissez « les relations constantes et nécessaires » entre le cerveau et la conscience. C’est pourquoi le fait d’affirmer que « la nature de la conscience est une activité particulière de l'esprit, envisagé comme représentation de l'activité neurologique du sujet » n’est qu’une hypothèse, une supposition.
Ce serait un fait et non une hypothèse si et seulement si les relations entre état neural et conscience étaient connues, relations sur lesquelles les neurosciences se cassent les dents depuis 50 ans, relations ayant été qui plus est réfutées par les expériences de Libet, de JF Lambert et autres.
Voilà donc les deux facteurs faisant que l’acceptation que tu proposes est erronée : non-connaissance de l’ensemble propriétés de la conscience et non-connaissance des relations entre état neural et conscience.
Vicomte a écrit :
C'est toi qui dit que c'est faux. Compte tenu de l'acception du mot « conscience » en sciences cognitives, c'est au contraire on ne peut plus vrai, jusqu'à preuve du contraire.
Je t'invite à t'intéresser aux travaux de Kandel, Yamashita, Kamitani, par exemple.
Compte tenu de ce que je viens de dire plus haut, tu comprendras pourquoi je maintiens qu’il est faux de dire que la conscience est un sous-produit de la pensée (il faudrait pour cela en connaître la nature). Cependant, je ne connais pas Yamashita et Kamitani (à l’inverse de Kandel). Je vais donc me renseigner plus avant au sujet de leurs travaux avant d’en dire plus.
Vicomte a écrit :
Une pensée sans conscience est tout à fait possible. Je ne vois pas où est le problème. Certains êtres vivants très primitifs ont une dizaine de neurones, ce qui leur permet un comportement très simple mais adapté à leur environnement, c'est déjà de la pensée. Un être humain au cerveau endommagé qui n'a plus de conscience peut continuer à penser (les zones de la conscience n'ont aucune activité, mais d'autres zones réagissent à des stimuli).
Pensée : activité psychique consciente dans son ensemble, processus par lesquels l'être humain élabore, au contact de la réalité, des concepts qu'il associe pour apprendre ou pour créer.
Cette simple définition, la plus large dans son acceptation, suffit à réfuter que la conscience soit une dérivée de la pensée puisque la pensée est « activité psychique consciente ». Nulle part je n’ai vu ou entendu dire que tout stimuli nerveux était une pensée.
Vicomte a écrit :
Compte tenu de l'acception scientifique du mot nature et du mot conscience, assurément. Rasoir d'Occam.
Bis repetita : étant donné que la science ne connaît ni l’ensemble des propriétés de la conscience, ni les relations entre état neural et conscience, ce que tu dis est faux.
Vicomte a écrit :
Mais je t'en prie, démontre-moi en quoi ma démonstration est aberrante, illogique et indigne.
C’est très simple : ce qui est indigne, illogique et aberrant, c’est l’affirmation gratuite suivante : « Sa logique (de Beck) est comparable à celle-ci », suivi d’une démonstration censée démontrer la fausseté de l’article de Beck (« Quantum aspects of brain activity and the role of consciousness", Compte-rendu de la National Academy of Sciences des Etats-Unis, 1992, n°89, p. 11357-11361 »). C’est la comparaison qui est infondée.
Encore une fois, cet article de Beck, publié et validé, n’a jamais été réfuté dans une revue à référés. Que tu prétendes que Beck raconte n’importe quoi sur ce point précis (il est théoriquement possible que l'esprit agisse physiquement sur le cerveau sans violer la loi de conservation de l'énergie) est faux, que tu t’appuies pour cela sur l’affirmation « Sa logique est comparable à celle-ci » est complètement arbitraire et non-scientifique, quelle que soit la valeur de la démonstration qui suit.
Vicomte a écrit :
Si tu penses à la non-localité prouvée par le paradoxe EPR, je conteste tes conclusions, pas l'expérience d'Aspect. En outre, ton expression ainsi formulée introduit un artéfact épistémologique : « sans être constitués de matière ni d’énergie » implique « constitué d'autre chose » ce qui est loin d'être automatique.
- Tu contestes ma conclusion sans dire pourquoi. C’est dommage car cette conclusion est inévitable, et ce quelle que soit l’explication envisagée. Sinon, tu admets que quelque chose puisse aller plus vite que la lumière.
- L’artéfact épistémologique n’existe que dans ta tête. Jamais je n’ai prétendu que ces phénomènes soient constitués de quoi que ce soit.
Vicomte a écrit :
Tant que tu n'as pas défini le mot "Esprit", certainement pas.
Pardonne-moi, c’est de ma faute : j’utilisais le mot « esprit » comme synonyme du mot « conscience ». Si tu n’es pas d’accord avec le fait que ces deux mots soient synonymes, il te suffit de remplacer « esprit » par « conscience » dans ma phrase : « Cela fournit donc un écrin possible d’une conscience non localisée dans le temps et l’espace et non constituée de matière et d’énergie. »
Vicomte a écrit :
Je t'invite vraiment à relire mes arguments à ce sujet. Raisonne par l'absurde : et si ma démonstration était logique ?
Pas besoin : je ne le ferais que si l’article de Beck et Eccles est un jour officiellement démenti dans une revue à référés. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Je pars de résultats publiés et validés, rien ne sert de revenir dessus, autrement on ne s’en sort pas.
Tu imagines si je remettais en cause la relativité générale comme les créationnistes remettent en cause l’évolution ? Allons, ce n’est pas sérieux comme méthode de débat. C’est précisément ce que je dénonce lorsque tu tentes de passer outre la démonstration d’Eccles au moyen d’une comparaison infondée.
Vicomte a écrit :
Cf. Glub0x.
?
Vicomte a écrit :Je passe les autres remarques, non pas pour fuir le débat, mais parce qu'elles me semblent en découler (et mériteront un traitement particulier si nous résolvons les problèmes en amont).
Si tu veux, nous pourrons revenir dessus plus tard. Néanmoins, je ne considère pas qu’elles découlent du reste. Il me semble au contraire qu’elles en sont indépendantes, mais bon…
Vicomte a écrit :
J'aimerais que tu retires ces propos. J'imagine que les mots ont dépassé ta pensée, n'est-ce pas ?
Je ne retire absolument rien sur le fond de ces propos : je trouve ta fable odieuse, condescendante et affreusement scientiste.
Cependant, après relecture de mes propos, je les trouve, de par leur personnification, effectivement bien trop violents et agressifs. Je me suis laissé aller à un excès d’irritation. Pour cela, je te présente mes sincères excuses.
Vicomte a écrit :
Non, en toute objectivité. Ça prouverait juste qu'on peut voir avec autre chose que ses yeux lorsqu'on est dans un état de sous-activité cérébrale. Il reste beaucoup d'étapes avant de prouver le dualisme.
« On peut voir avec autre chose que ses yeux lorsqu'on est dans un état de sous-activité cérébrale » ???? Je te rappelle qu’il s’agit de SE voir, vu d’en haut. Tu veux bien développer ?
Je ne nie pas qu’il resterait malgré tout beaucoup d'étapes avant de prouver le dualisme ; je dis par contre que cette seule expérience, si elle s’avérait concluante, suffirait à réfuter définitivement le monisme.
Vicomte a écrit :Prédictif = il est possible de réunir une liste précise de conditions qui, lorsqu'elles sont réunies, produisent toujours le même résultat observable.
Vérifiable = on peut réunir ces fameuses conditions.
C'est le B A BA de tout discours scientifique digne de ce nom.
Tu n'as rien présenté de tel, pour l'instant, à mon humble avis.
Avec la théorie dualiste, on peut facilement établir des prédictions qui seront vérifiables par l’expérience. Par exemple, je peux prédire que, la conscience étant indépendante de la matière et au-delà de l’espace-temps (dualisme), les cas rapportés de NDE ou de vision à distance sont possibles, et certainement réels. Il suffit maintenant d’établir des protocoles expérimentaux pour le vérifier, si toutefois le véto rationaliste le permet…
De tout temps, les sages et les poètes ont reconnu le caractère onirique de l’existence humaine, en apparence si solide et si réelle, mais en fait si fugace qu’elle pourrait se dissoudre à tout moment.
A l’instant de la mort, en effet, l’histoire de notre vie peut nous apparaître comme un rêve tirant à sa fin. Mais même un rêve doit avoir une essence réelle. Il doit se concrétiser dans une conscience ; autrement, il ne serait pas.
Cette conscience est-elle créée par le corps ou créé-t-elle le rêve du corps ou de quelqu’un ?
Pourquoi la plupart de ceux qui ont survécu à la mort ne craignent-ils plus la mort ? Réfléchis à cela.
Vicomte a écrit :
N'es-tu pas finalement en train de confirmer le point C0 de la démonstration, là ? (À quelques différences importantes en amont, bien entendu.)
De mon point de vue il me semble que ce n'est pas parce que l'homme donne un sens au monde en fonction de la manière dont il est finalisé que le monde a besoin d'un sens en soi.
Le sens est, me semble-t-il, une propriété externe et en aval de l'objet, lorsque tu proposes d'en faire une propriété interne et en amont. Attention : le paradoxe de la complexité irréductible pointe à l'horizon. Mais effectivement c'est un autre débat. Ce serait un fil de discussion intéressant à ouvrir.
Je ne pense pas que ce soit un autre débat ; au contraire, nous touchons là au cœur du problème. De plus, jamais je n’ai parlé ici de donner un sens à la vie ou au monde, pas plus que toi dans C0. Il est seulement question de considérations purement logiques pour le coup. Et leurs implications métaphysiques sont inévitables.
Quant au paradoxe de la complexité irréductible, il est éludé par la nécessité de l’existence du réel en soi, donc de l’absolu. De plus, je pense que l’existence du sens est rendue nécessaire par l’existence de la conscience.
« C0. Selon cette approche, tout objet (c'est-à-dire toute portion isolable du réel) dépend du sujet : c'est le détenteur des concepts qui produit l'objet, lequel est dans son esprit et non dans le réel. »
Effectivement, à ceci près que j’aurais remplacé « esprit » par « conscience », ce que je dis est très proche de C0. Rien que C0 suffit d’ailleurs à saper les fondements du reste de ta démonstration : le sujet est nécessaire à l’existence du réel. Or lorsque tu dis « sujet », tu ne peux pas ne pas remplacer ce mot par « conscience ». Le réel n’existe que dans la conscience du sujet.
Puisque la conscience est nécessaire à l’existence du réel perçu, alors causalement elle le précède nécessairement.
Donc la conscience est absolue, cause fondamentale de toute chose et de toute dualité.
Donc la conscience est le réel en soi.
Réfléchis : s’il n’y avait qu’une seule couleur, disons le bleu, et que le monde entier, avec tout ce qu’il comprend, était bleu, il n’y aurait pas de bleu. Pour que l’on puisse reconnaître le bleu, il doit y avoir quelque chose qui ne l’est pas ; autrement, il ne « ressortirait » pas, il n’existerait pas.
De même, ne faut-il pas quelque chose qui n’est ni fugace ni transitoire pour que soit reconnue la fugacité de toute chose ? Autrement dit, si tout était transitoire, y compris nous-mêmes, nous ne le saurions pas. Puisque nous avons conscience de la nature éphémère de toutes les formes, y compris la nôtre, et que nous pouvons l’observer, n’est-ce pas un signe que quelque chose en nous n’est pas sujet à la décomposition ?
Ainsi, puisque le monde physique et fugace n’existe QUE dans notre conscience (la tienne, la mienne…), alors la conscience est forcément préalable au monde physique, à la matière, et elle est absolue puisqu’elle est la condition nécessaire à l’existence de toute chose.
La conscience est donc causalement antécédente à la matière : c’est la conscience qui engendre la matière, et non l’inverse…