*** Rbi8 Matthieu 24:45-47 ***
45 “ Quel est donc l’esclave fidèle et avisé que son maître a établi sur ses domestiques, pour leur donner leur nourriture en temps voulu ? 46 Heureux cet esclave si son maître, en arrivant, le trouve en train de faire ainsi ! 47 Vraiment, je vous le dis : Il l’établira sur tous ses biens.
Qui est-ce ?
Bonjour Bertrand, je me permet de te donner mon avis sur la question en cette douce nuit.
Cela fait trois jours que je médite à une réponse à te donner. J'ai le temps ce soir.
Je débuterait par les versets, dans une autre traduction, qu'à force je commence à connaître par coeur, "quel est donc ce
serviteur fidèle et avisé que le
maître à établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu ? Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera occupé de la sorte ! En vérité je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens".
La formulation de Mathieu 24, 45-51 diffère de celle de Luc 12, 42-46 : celle de Matthieu s'adresse à tous les disciples, tandis que celle de Luc s'adresse aux chefs de l'Eglise (la communauté naissante des judéo-chrétiens).
L'altération de Luc est intéressante néanmoins, il introduit la parabole de Jésus par une question posée par Pierre, ce qui lui permet de situer la réponse dans le cadre des préoccupations de la communauté, mais de ce fait, elle perd son caractère universel et est ramené aux besoins d'une utilisation réduite. La formulation de Matthieu me semble plus intéressante, de ce point de vue, car le caractère universel de l'enseignement de Jésus est restitué.
Il s'agit là d'une parabole concernant la vigilance. Ce n'est pas la seule, elle s'inscrit dans une série de paraboles qui ont très tôt dans l'histoire de la tradition primitive fait l'objet d'une interprétation eschatologique. Dans cette perspective, la raison d'être de la vigilance s'inscrit dans l'approche du second avènement du Christ, tel que l'enseignait Paul (via la communauté des pagano-chrétiens) et tel que le retranscrivait l'auteur de Luc. Il est possible que ce genre d'utilisation des paraboles concernant la vigilance fût ou non issu directement de Jésus, je n'en sais rien, mais une telle application n'est pas nécessairement celle qui avait été prévue à l'origine par Jésus (ainsi que l'a montré C.H. Dodd dans
Les Paraboles du Royaume de Dieu).
Je ne me placerait donc pas du point de vue de l'alternative eschatologique car je pense qu'elle a été un facteur de distraction qui est passé à côté de l'essentiel de l'enseignement de Jésus concernant l'immédiateté de l'éveil (ainsi que je l'ai montré dans un autre topic).
En Matthieu, Jésus interpelle ses disciples. Cette interpellation est méta-historique : elle concerne ses disciples d'une part, et d'autre part nous aussi car elle s'adresse à tout disciple engagé sur la voie qu'il propose, celle de la vigilance et de l'amour.
Il s'agit ici de se tenir prêt par rapport à la venue du maître. Le message n'est pas bien difficile à saisir : les conséquences d'une vie menée dans la dispersion, dans la négligence, dans l’insouciance, sans vigilance et dans le manque de présence sont fâcheuses. Ce gaspillage d'énergie dans certains cas peut même aboutir à la perdition.
L'expression "leur donner de la nourriture en temps voulu" souligne l'opposition avec un comportement dissolu, distrait et emporté. Se perdre dans ce genre de comportement ne relève pas à strictement parler du champ de la morale car le maître n'est pas un censeur qui juge et condamne. Les nourritures sont ici des éléments de la parabole, il ne s'agit pas de simples aliments (sens littéral), il s'agit plutôt de tout ce que l'homme peut absorber à travers ses sens, son psychisme et ses capacités de perception plus fines et plus subtiles.
Dans les différentes paraboles, l'arrivée inopinée du maître n'est pas à proprement parler l'irruption d'un homme, ni la venue d'un événement futur, collectif, historique ou cosmique, mais plutôt l'émergence, sur le plan de la conscience de chacun, au niveau de son intériorité, de l'Être qui veille. Cette émergence de l'Être est soudaine, fulgurante, vive. Il faut être prêt, pour être en mesure de l'accueillir, à tout moment, afin de ne pas se laisser distraire dans la confusion ordinaire qui habite notre condition humaine.
J'aimerais rapprocher cette parabole du serviteur fidèle et avisé du Notre Père où il est dit de l'araméen "Remets-nous nos dettes (hobha) comme nous aussi nous avons remis à nos débiteurs (hayyabha)" (Matthieu 6, 12) ainsi que de la parabole du débiteur impitoyable (Matthieu 18, 23-34). Une véritable reddition des comptes ne consiste pas à sentir que l'autre nous doive quelque chose pour ensuite l'en affranchir, mais plutôt à ne pas se sentir soi-même créancier. Ceci n'est possible que par un retournement de la perception intérieure où l'autre est à nouveau accepté tel qu'il est en lui-même, totalement.
Le fait de conserver un contentieux avec une personne, par exemple, est non seulement une marque d'immaturité en regard de cet évangile, mais également la preuve manifeste d'un manque de vigilance à l'égard de nous-même. Nous l'avons dit, la croissance de l'être dépend du regard que l'on porte, de notre vigilance, mais aussi au regard de la parabole de l'intendant habile (retranscrite en Luc 16, 1-9) de notre habileté. Le serviteur fidèle et avisé possède l'habileté de cet intendant, il sait s'adapter dans ce monde en faisant preuve de finesse. Il ne se laisse pas égarer, ne se comportant pas comme un intendant sans scrupules. Constamment, son travail consiste à réduire les dettes (nos offenses, nos péchés, notre regard, nos tendances négatives) avec habileté en attendant le retour du maître de maison.
Un dernier point, et je m'arrêterait là-dessus, on demande au Père céleste, de nous remettre nos dettes (le Notre Père), autrement dit nous reconnaissons bien être débiteurs, mais n'oublions pas que le fait de devoir quelque chose ne concerne pas uniquement ce que nous avons fait à autrui, mais surtout ce que nous n'avons pas fait de notre existence et dont nous sommes redevables.
Nous avons une obligation de conscience, une responsabilité quant à la transformation de notre être. Réduire notre dette, en bon intendant, en bon serviteur de la maisonnée consiste à réduire la distance qui nous sépare du Père. C'est à Dieu que nous sommes redevables, en premier lieu, immensément redevables, on comprend pourquoi Jésus insiste tellement sur l'habileté et la vigilance dans ses enseignements, car il ne suffit pas seulement d'être prudent, avisé, sensé et réfléchi, il faut beaucoup plus encore.
Voilà, il est temps que j'aille me coucher, bonne journée
Ase