A florence-yvonne.
C'est amusant... On dirait que tu veux à tout prix qu'on te montre des arguments rationnels en faveur de la religion, qu'on te prouve qu'il faut être croyant, alors que si la foi était démontrable elle ne serait pas la foi. La foi n'est pas contradictoire de la raison, mais la foi ne repose pas sur des bases rationnelles.
Je trouve, globalement parlant, que l'Eglise catholique est une des institutions humaines dont le bilan est le moins noir et dont les enseignements sont les moins contestables. Mais ce n'est pas à cause de ce bilan (sur lequel on peut parfaitement ne pas avoir le même avis que moi) ou d'enseignements moraux (que l'on peut ne pas trouver appropriés) que j'essaie modestement d'en être un membre ! C'est à cause d'une foi qui préexiste à mon appartenance pleinement consciente et vécue à l'Eglise.
Les chrétiens ne sont en effet pas meilleurs que les autres, et il n'est besoin ni d'adhérer à l'Eglise ni de croire en Dieu pour pratiquer la bonté. Nous n'avons qu'à nous en prendre qu'à nous-mêmes si tout le monde n'a pas un désir ardent de se convertir au christianisme.
Pour en revenir au "cadeau" de départ. Dieu n'a pas créé l'homme pour en être adoré, au contraire de ce que tu disais. C'est le passif "être adoré" qui est gênant. Car si adorer Dieu est bien dans le projet divin la vocation majeure de l'homme (sachant qu'adorer Dieu revient à faire le bien et à lui rendre un culte - et que lui rendre un culte n'est ni nécessaire, ni suffisant pour être sauvé individuellement), c'est un projet pour l'homme et non un projet pour Dieu (il ne saurait y avoir de projet
pour Dieu puisqu'il est éternel-omniscient-omnipotent, mais un projet
de Dieu) : adorer Dieu est pour l'homme le moyen d'accéder au bonheur sur Terre (et le bonheur terrestre fait partie de la vocation de l'homme) puis au bonheur éternel de la vision béatifique. Dieu n'a pas besoin de notre adoration ; comme le dit l'Ecriture, "elle Lui est agréable", et c'est tout. Notre adoration n'est pas plus une condition de Son amour pour nous qu'une condition de Sa perfection. Il ne demande notre adoration que parce qu'Il nous aime et veut notre bonheur.
Je crois que le problème pour toi, florence-yvonne, ne vient pas tant de Dieu - puisque je crois que tu avais mal compris ce que signifiait véritablement la création pour les croyants -, mais du culte que prétendraient imposer les religions, que tu sembles considérer comme quelque chose de superflu, qui se superposerait aux bonnes actions, que tu sembles considérer comme suffisantes.
Je suis incapable de te démontrer que tu es dans l'erreur. Mais je crois que ta démarche répond à une tentation très fréquente chez les gens qui réfléchissent un tant soit peu sur leur foi (et qui ne sont pas si nombreux, jetons-nous donc des fleurs puisque beaucoup peuvent avoir cette prétention sur ce forum) et que j'ai moi-même éprouvée : celle d'"intellectualiser" la foi, en reléguant Dieu dans le monde des idées abstraites et en ne tirant de son existence aucune conséquence pratique.
Or, si Dieu existe, je crois que l'on doit en tirer des conséquences, puisque c'est alors ce qui est le plus important dans l'univers. Il faut "incarner" notre foi.
Et c'est là (quelle transition !) qu'intervient le christianisme, et c'est surtout pour les motifs que je vais évoquer que je suis chrétien et pas membre d'une autre confession. C'est à cause de l'Incarnation du Christ, qui répond prodigieusement à ce besoin que peut ressentir (et même ressent, je crois, presque tout le temps) le croyant d'incarner, de vivre sa foi. Quel plus beau symbole, quelle plus belle invitation, quel plus beau modèle et quelle plus belle réalité que ce Dieu qui se fait homme ! Comment reconnaîtrait-il de façon aussi éminente la dignité de sa créature et l'amour qu'il lui porte ? Comment pourrait-il manifester de façon plus claire le respect absolu qu'il a pour notre liberté, qu'en naissant faible et pauvre au milieu de nous ?
Bon, ça c'est pour Noël, mais avec Pâques les choses sont encore plus merveilleuses ! Comme le dit St Paul, "si le Christ n'est pas mort et ressuscité notre foi est vaine". La Cène du Jeudi saint tout d'abord ; quel renversement formidable le Christ opère : avant, Dieu était le Tout-Puissant, le Dieu des armées (Sabaoth chez les Juifs), devant lui on s'aplatit à ras de terre après lui avoir offert des boeufs en sacrifice. Et là, Jésus arrive et vlan ! tout cela change complètement de sens. Maintenant c'est Dieu qui se remet entre les mains de l'homme, Dieu qui permet à l'homme, non plus de l'évoquer ou de lui faire hommage, mais de le rendre présent réellement, et pas sous les apparences d'une idole imposante et dorée, mais d'un peu de pain et de vin. (A lire à ce sujet, René Girard,
La violence et le sacré, Le bouc émissaire, Le sacrifice).
Et après, sur la croix. Dieu ne demande plus de sacrifices sanglants, il se sacrifie lui-même pour la rédemption des péchés de toute l'humanité d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Comment mieux traduire l'ambivalence de l'homme, à la fois faible créature incapable de se sauver elle-même, et créature infiniment importante aux yeux de son Créateur et cela par un amour gratuit, indépendant du retour que nous pouvons ou non lui donner ?
Enfin la résurrection. Comment donner aux hommes une plus belle vision de l'espérance et de ce qu'elle peut faire qu'en remportant la victoire sur la mort elle-même ? Comment donner plus de sens à l'existence humaine qu'en la tournant vers la résurrection finale, en montrant que celui qui a infiniment souffert et infiniment aimé ouvre la porte du salut ? Et quel extraordinaire signe d'espérance ! (Lire là-dessus Péguy,
Le porche du mystère de la deuxième vertu, fabuleux...)
Voilà ce que peut apporter le christianisme, et qui ne relève pas seulement de la raison mais aussi et en premier lieu de l'acte de foi, nous en sommes bien d'accord. Tu remarqueras que je suis passé d'une vision intellectualiste du christianisme à une vision esthétisante

, très imparfaite, et qu'il me reste encore beaucoup de choses à découvrir. Mais j'espère que tu comprendras que lorsqu'on croit ce que j'ai tenté de t'exposer, assister à des offices religieux, prier, recevoir les sacrements, se sentir membre de l'Eglise est quelque chose de libérateur et d'infiniment enrichissant, que cela ne ferme pas l'esprit - au contraire, on trouve tant de choses dans la Tradition de l'Eglise... - , ne conduit pas à vouloir imposer ses options morales aux autres, et que cela ne fait que nourrir une immense joie dans les coeurs de ceux qui partagent cette foi - joie qui n'est pas une naïveté – et voudraient à tout prix que les autres la partagent.
Bon, j'ai été bien long et je m'en excuse. Merci pour tes questions stimulantes, florence-yvonne

, même si j'ai dû un peu déborder du sujet de départ, emporté par mon enthousiasme. (
enthousiasme : 1548; du grec εvθουσιασμós «transport divin, état de l'homme en qui la divinité est présente pour l'habiter et l'inspirer»; mot composé du préverbe εv- «dans», et du mot θεós «dieu».)