La religion comme infection contagieuse : idée pertinente ?
Posté : 14 juin09, 02:18
Bonjour,
Suite à de nombreuses remarques, il m'a semblé pertinent d'ouvrir un sujet dédié à la question de la pertinence de l'association de la religion à une infection de l'esprit à caractère contagieux.
Je m'empresse de dire tout de suite que cette question n'est mue par aucune volonté de provoquer ou de manquer de respect — encore moins d'insulter — qui que ce soit. Il se trouve juste que compte tenu de certains développements scientifiques la question me semble pertinente, comme je vais tenter de l'exposer un peu plus bas. J'aimerais faire une comparaison avec un autre phénomène : Avant l'avènement de la psychanalyse puis de la psychiatrie moderne, on portait sur la folie un regard approximatif, comme un aveu d'impuissance de la pensée analytique. Maintenant on la traite comme une maladie sans que ça ne pose aucun problème du point de vue scientifique(1). Sans dire que la religion ressortit de la maladie mentale, il me semble que nous avons maintenant les outils scientifiques et théorique pour analyser la religion en tant que phénomène du psychisme humain.
Du point de vue d'un non-croyant, la religion peut lui apparaître en effet comme une infection de l'esprit à caractère contagieux. Cette comparaison est-elle pertinente ? Si elle ne l'est pas, pourquoi ? Où se situe la limite ? Si elle l'est, est-ce de manière métaphorique (et dans ce cas pour exprimer quelle réalité) ? Ou peut-ce être de manière clinique ?
Commençons par définir ce qu'est une infection à caractère contagieux par ses manifestations :
S1. L'hôte de l'infection voit une diminution de ses performances, laquelle est handicapante, voire dans certains cas peut entraîner la mort.
S2. L'agent infectieux dispose d'un système de défense garantissant sa survie face aux défenses immunitaires de son hôte.
S3. Le contact de l'hôte auprès de ses semblables peut entraîner chez eux (si leurs défenses ne sont pas efficaces) la réplication de la même infection.
S4. En passant d'un hôte à l'autre, l'infection peut connaître des variations, au point de s'inscrire dans un schéma évolutif.
S5. L'infection est en concurrence avec des infections d'autres types pour la colonisation des hôtes. Ceci crée une pression du milieu entraînant un schéma darwinien, favorisant de génération en génération les agents infectieux les plus performants, c'est-à-dire les plus adaptés à la nature de leurs hôtes. Par voie de conséquence, l'agent infectieux dispose, en plus du système décrit en S2, un système de défense contre les agressions des autres agents infectieux.
Vérifions si ces points sont applicables à la religion :
rS1. D'un point de vie extérieur(2), le croyant dépense une précieuse énergie et de précieuses ressources ne revêtant aucune utilité observable. Il dépense beaucoup de temps à cela, il peut tuer des animaux qui auraient pu le nourrir, brûler des biens tout à faits consommables, etc. Il peut même tuer des membres de sa communauté, voire tuer d'autres personnes (l'exposant au danger de sanglantes représailles) voire même donner fin à ses jours. Tout cela, encore une fois, sans absolument aucun gain objectivement mesurable (s'il ne s'était pas adonné à ces activités, il serait objectivement nantis de plus de biens, plus de temps, d'une meilleure réputation auprès de ceux qui ne partagent pas ses croyances, voire simplement serait encore vivant). Le critère S1 est donc observé : l'individu est moins performant quant à son rapport à son environnement.(3)
rS2. Comment un individu sain pourrait-il accepter des récits de phénomènes impossibles, comme la télépathie, la marche sur l'eau, la vie après la mort, etc. ? Un simple examen critique permettrait de les rejeter. Le sens critique et l'analyse objective constituent en ce sens un système immunitaire contre les croyances. Or on observe que les sujets croyants abandonnent toute logique et tout esprit critique lorsqu'il s'agit de leurs croyances, alors qu'ils peuvent par ailleurs tout à fait en faire preuve dans d'autres circonstances. Manifestement la croyance a la capacité de diminuer les défenses de son hôte.(4)
rS3. Les phénomènes du prosélytisme et de l'éducation religieuse sont maintenant suffisamment connus pour savoir que les proches ont tendance à se transmettre les mêmes croyances, si incroyables soient-elles. Un enfant de créationniste, par exemple, va également croire en la Création, plutôt qu'aux fées ou aux lutins. De manière plus générale, toute transmission culturelle de représentations tient de la "contagion", comme ont pu le montrer des chercheurs comme Dan Sperber(5).
rS4. L'histoire des religions, avec leurs schismes, leurs églises, leurs variations, leur évolution (à l'échelle historique, comme sociologique, comme individuelle), montre la grande évolutivité des croyances.(6)
rS5. Beaucoup de religions ont un appareillage anti-concurrence particulièrement sophistiqué. Pour ne prendre qu'un exemple, il suffit de lire comment la Société Watchtower, parole officielle de la ligne de pensée des Témoins de Jéhovah, décrit l'ensemble des autres religions comme l'œuvre de Satan (et constatons combien certains TJ en sont intimement persuadés).
De ce point de vue, si la communauté trouve l'approche pertinente (comme c'est le cas pour des chercheurs comme Taylor, Kohn, Sperber, Dawkins, Boyer, etc.), cela signifierait donc la possibilité d'une approche clinique du phénomène religieux en tant que contamination culturelle à issue handicapante.(7)
________
(1) Même si de vieilles représentations, qui heureusement tendent à disparaître, font encore un peu porter une sorte de honte ou de culpabilité à qui nécessite une aide dans ce domaine.
(2) Bien entendu un croyant n'envisage pas les choses ainsi. En tout cas pas concernant ses croyances, même s'il est parfois capable de le constater dans d'autres systèmes de croyances.
(3) Les seuls gains ne sont que supposés et aucun fait probant ne permet de retenir l'hypothèse qu'ils ne sont pas qu'imaginés.
(4) Voir aussi Richard Dawkins, Pour en finir avec dieu, Paris, Laffont, 2008, p.210-212.
(5) Dan Sperber, La Contagion des idées, Paris, Odile Jacob, 1996.
(6) Voir Pascal Boyer, Et l'homme créa les dieux, Paris, Gallimard, 2001, chap.1. Voir aussi http://www.forum-religion.org/post502107.html où j'en donne les premières phrases.
(7) Sans anticiper sur nos conclusions, cela donnerait une assise supplémentaire à ces deux choses que je revendique, toutes d'eux d'ordre éthique :
- L'invitation aux croyants, au nom de l'honnêteté intellectuelle, de ne pas se livrer à cette forme prosélytisme consistant à transmettre des croyances là où ils croient transmettre des informations fiables sur le monde (par exemple en militant pour l'enseignement de la Création en cours de biologie),
- L'exhortation en direction des croyants à ne pas transmettre d'idées religieuses à leurs enfants sans leurs transmettre avec les outils critiques permettant de la remettre en question (afin qu'ils se fassent leur propre opinion plutôt que de profiter de leur confiance en leurs parents).
Si vous souhaitez discuter sur ces deux points, je vous prie toutefois de bien vouloir ouvrir un autre sujet.
Suite à de nombreuses remarques, il m'a semblé pertinent d'ouvrir un sujet dédié à la question de la pertinence de l'association de la religion à une infection de l'esprit à caractère contagieux.
Je m'empresse de dire tout de suite que cette question n'est mue par aucune volonté de provoquer ou de manquer de respect — encore moins d'insulter — qui que ce soit. Il se trouve juste que compte tenu de certains développements scientifiques la question me semble pertinente, comme je vais tenter de l'exposer un peu plus bas. J'aimerais faire une comparaison avec un autre phénomène : Avant l'avènement de la psychanalyse puis de la psychiatrie moderne, on portait sur la folie un regard approximatif, comme un aveu d'impuissance de la pensée analytique. Maintenant on la traite comme une maladie sans que ça ne pose aucun problème du point de vue scientifique(1). Sans dire que la religion ressortit de la maladie mentale, il me semble que nous avons maintenant les outils scientifiques et théorique pour analyser la religion en tant que phénomène du psychisme humain.
Du point de vue d'un non-croyant, la religion peut lui apparaître en effet comme une infection de l'esprit à caractère contagieux. Cette comparaison est-elle pertinente ? Si elle ne l'est pas, pourquoi ? Où se situe la limite ? Si elle l'est, est-ce de manière métaphorique (et dans ce cas pour exprimer quelle réalité) ? Ou peut-ce être de manière clinique ?
Commençons par définir ce qu'est une infection à caractère contagieux par ses manifestations :
S1. L'hôte de l'infection voit une diminution de ses performances, laquelle est handicapante, voire dans certains cas peut entraîner la mort.
S2. L'agent infectieux dispose d'un système de défense garantissant sa survie face aux défenses immunitaires de son hôte.
S3. Le contact de l'hôte auprès de ses semblables peut entraîner chez eux (si leurs défenses ne sont pas efficaces) la réplication de la même infection.
S4. En passant d'un hôte à l'autre, l'infection peut connaître des variations, au point de s'inscrire dans un schéma évolutif.
S5. L'infection est en concurrence avec des infections d'autres types pour la colonisation des hôtes. Ceci crée une pression du milieu entraînant un schéma darwinien, favorisant de génération en génération les agents infectieux les plus performants, c'est-à-dire les plus adaptés à la nature de leurs hôtes. Par voie de conséquence, l'agent infectieux dispose, en plus du système décrit en S2, un système de défense contre les agressions des autres agents infectieux.
Vérifions si ces points sont applicables à la religion :
rS1. D'un point de vie extérieur(2), le croyant dépense une précieuse énergie et de précieuses ressources ne revêtant aucune utilité observable. Il dépense beaucoup de temps à cela, il peut tuer des animaux qui auraient pu le nourrir, brûler des biens tout à faits consommables, etc. Il peut même tuer des membres de sa communauté, voire tuer d'autres personnes (l'exposant au danger de sanglantes représailles) voire même donner fin à ses jours. Tout cela, encore une fois, sans absolument aucun gain objectivement mesurable (s'il ne s'était pas adonné à ces activités, il serait objectivement nantis de plus de biens, plus de temps, d'une meilleure réputation auprès de ceux qui ne partagent pas ses croyances, voire simplement serait encore vivant). Le critère S1 est donc observé : l'individu est moins performant quant à son rapport à son environnement.(3)
rS2. Comment un individu sain pourrait-il accepter des récits de phénomènes impossibles, comme la télépathie, la marche sur l'eau, la vie après la mort, etc. ? Un simple examen critique permettrait de les rejeter. Le sens critique et l'analyse objective constituent en ce sens un système immunitaire contre les croyances. Or on observe que les sujets croyants abandonnent toute logique et tout esprit critique lorsqu'il s'agit de leurs croyances, alors qu'ils peuvent par ailleurs tout à fait en faire preuve dans d'autres circonstances. Manifestement la croyance a la capacité de diminuer les défenses de son hôte.(4)
rS3. Les phénomènes du prosélytisme et de l'éducation religieuse sont maintenant suffisamment connus pour savoir que les proches ont tendance à se transmettre les mêmes croyances, si incroyables soient-elles. Un enfant de créationniste, par exemple, va également croire en la Création, plutôt qu'aux fées ou aux lutins. De manière plus générale, toute transmission culturelle de représentations tient de la "contagion", comme ont pu le montrer des chercheurs comme Dan Sperber(5).
rS4. L'histoire des religions, avec leurs schismes, leurs églises, leurs variations, leur évolution (à l'échelle historique, comme sociologique, comme individuelle), montre la grande évolutivité des croyances.(6)
rS5. Beaucoup de religions ont un appareillage anti-concurrence particulièrement sophistiqué. Pour ne prendre qu'un exemple, il suffit de lire comment la Société Watchtower, parole officielle de la ligne de pensée des Témoins de Jéhovah, décrit l'ensemble des autres religions comme l'œuvre de Satan (et constatons combien certains TJ en sont intimement persuadés).
De ce point de vue, si la communauté trouve l'approche pertinente (comme c'est le cas pour des chercheurs comme Taylor, Kohn, Sperber, Dawkins, Boyer, etc.), cela signifierait donc la possibilité d'une approche clinique du phénomène religieux en tant que contamination culturelle à issue handicapante.(7)
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(1) Même si de vieilles représentations, qui heureusement tendent à disparaître, font encore un peu porter une sorte de honte ou de culpabilité à qui nécessite une aide dans ce domaine.
(2) Bien entendu un croyant n'envisage pas les choses ainsi. En tout cas pas concernant ses croyances, même s'il est parfois capable de le constater dans d'autres systèmes de croyances.
(3) Les seuls gains ne sont que supposés et aucun fait probant ne permet de retenir l'hypothèse qu'ils ne sont pas qu'imaginés.
(4) Voir aussi Richard Dawkins, Pour en finir avec dieu, Paris, Laffont, 2008, p.210-212.
(5) Dan Sperber, La Contagion des idées, Paris, Odile Jacob, 1996.
(6) Voir Pascal Boyer, Et l'homme créa les dieux, Paris, Gallimard, 2001, chap.1. Voir aussi http://www.forum-religion.org/post502107.html où j'en donne les premières phrases.
(7) Sans anticiper sur nos conclusions, cela donnerait une assise supplémentaire à ces deux choses que je revendique, toutes d'eux d'ordre éthique :
- L'invitation aux croyants, au nom de l'honnêteté intellectuelle, de ne pas se livrer à cette forme prosélytisme consistant à transmettre des croyances là où ils croient transmettre des informations fiables sur le monde (par exemple en militant pour l'enseignement de la Création en cours de biologie),
- L'exhortation en direction des croyants à ne pas transmettre d'idées religieuses à leurs enfants sans leurs transmettre avec les outils critiques permettant de la remettre en question (afin qu'ils se fassent leur propre opinion plutôt que de profiter de leur confiance en leurs parents).
Si vous souhaitez discuter sur ces deux points, je vous prie toutefois de bien vouloir ouvrir un autre sujet.