Naḥmanide et la réfutation du christianisme
Posté : 01 mars10, 03:51
Naḥmanide et la réfutation du christianisme
LE MOYEN ÂGE. Un terme a priori plus évocateur de croisade, d’Inquisition, de torture, que de discussion religieuse ouverte. Pourtant, en plein Moyen Âge, en 1263 exactement, s’est tenue l’une des plus étonnantes controverses judéo-chrétiennes que l’Europe ait connues. Quels en étaient les protagonistes ? Quelles questions furent débattues ? Cet épisode peut-il nous aider à identifier la vraie religion ?
Aux sources du débat
Tout au long du Moyen Âge, l’Église catholique se pose en détentrice de la vérité religieuse. De leur côté, les Juifs n’en démordent pas : ils constituent le peuple élu. Vexée car incapable de les convaincre de se convertir, l’Église recourt souvent à la violence et à la persécution. Durant les croisades, des dizaines de milliers de Juifs, acculés à choisir entre le baptême et la mort, sont massacrés ou mis au bûcher. Dans de nombreux pays, l’Église souffle un vent d’antisémitisme.
Un autre courant berce l’Espagne catholique du XIIe et du XIIIe siècle. Tant qu’ils ne portent pas atteinte à la foi chrétienne, les Juifs y jouissent de la liberté religieuse et se voient même confier de hautes fonctions à la cour. Toutefois, après environ un siècle, le vent de faveur tourne. Les prêtres dominicains veulent réduire l’influence des Juifs au sein de la société et les convertir au catholicisme. Ils pressent le roi Jacques Ier d’Aragon d’arranger une dispute officielle dont le but sera d’établir l’infériorité de la position juive et, partant, d’imposer l’idée d’une conversion massive.
Pareil débat ne constitue pas une première. En 1240 déjà, une controverse judéo-chrétienne s’est officiellement tenue à Paris. Son objet premier : tenir sur la sellette le Talmud, livre sacré pour les Juifs. Mais la liberté de parole des disputants juifs y avait été fort restreinte. L’Église se proclama victorieuse, et l’on brûla sur les places publiques de très nombreuses copies du Talmud.
L’esprit plus tolérant de Jacques Ier d’Aragon ne saurait cautionner une telle parodie de justice. Les dominicains le savent, qui changent d’approche. Ainsi que l’écrit Hyam Maccoby, ils invitent les Juifs à un débat “ où non pas la délation comme à Paris, mais la courtoisie et la persuasion seront à l’honneur ”. (Judaism on Trial.) Comme principal intervenant dans la dispute, ils désignent Pablo Christiani, Juif apostat devenu prêtre dominicain. Nul doute à leurs yeux que ses connaissances rabbiniques et talmudiques leur assureront gain de cause.
Pourquoi Naḥmanide ?
En Espagne, une seule figure a l’étoffe spirituelle pour incarner la partie juive dans la joute : Moïse ben Naḥman, ou Naḥmanide. Il naît à Gérone aux alentours de 1194. Adolescent encore, il se distingue par sa science biblique et talmudique. Vers la trentaine, il a déjà rédigé un commentaire sur la majeure partie du Talmud, et joue bientôt un rôle décisif de conciliateur dans la controverse qui entoure les écrits de Maimonide et qui menace de diviser la communauté juive. On voit en lui le bibliste et le talmudiste le plus brillant de sa génération, son empreinte sur le judaïsme de l’époque ne le cédant peut-être qu’à Maimonide.
L’emprise de Naḥmanide sur la communauté juive de Catalogne est considérable, et Jacques Ier lui-même le consulte sur diverses affaires d’État. Sa finesse d’esprit force le respect de tous, y compris des non-Juifs. Les dominicains sentent que pour donner l’estocade aux Juifs, c’est lui, leur illustrissime rabbin, qui doit débattre.
Naḥmanide marque sa réticence. Les dominicains, il le sait, n’ont aucune intention d’en découdre à la loyale. Il doit en outre répondre aux questions sans en soulever une seule. Il accède néanmoins à la requête du roi, sous réserve d’être autorisé à répondre librement. Jacques Ier accepte. Au Moyen Âge, pareille licence de parole, fût-elle relative, est sans précédent et ne se reverra plus, gage de la haute estime dans laquelle le roi tient Naḥmanide. Celui-ci sait l’enjeu énorme. Qu’il soit jugé trop combatif dans la dispute s’avérerait désastreux et pour lui et pour la communauté juive. La violence peut exploser à tout moment.
LE MOYEN ÂGE. Un terme a priori plus évocateur de croisade, d’Inquisition, de torture, que de discussion religieuse ouverte. Pourtant, en plein Moyen Âge, en 1263 exactement, s’est tenue l’une des plus étonnantes controverses judéo-chrétiennes que l’Europe ait connues. Quels en étaient les protagonistes ? Quelles questions furent débattues ? Cet épisode peut-il nous aider à identifier la vraie religion ?
Aux sources du débat
Tout au long du Moyen Âge, l’Église catholique se pose en détentrice de la vérité religieuse. De leur côté, les Juifs n’en démordent pas : ils constituent le peuple élu. Vexée car incapable de les convaincre de se convertir, l’Église recourt souvent à la violence et à la persécution. Durant les croisades, des dizaines de milliers de Juifs, acculés à choisir entre le baptême et la mort, sont massacrés ou mis au bûcher. Dans de nombreux pays, l’Église souffle un vent d’antisémitisme.
Un autre courant berce l’Espagne catholique du XIIe et du XIIIe siècle. Tant qu’ils ne portent pas atteinte à la foi chrétienne, les Juifs y jouissent de la liberté religieuse et se voient même confier de hautes fonctions à la cour. Toutefois, après environ un siècle, le vent de faveur tourne. Les prêtres dominicains veulent réduire l’influence des Juifs au sein de la société et les convertir au catholicisme. Ils pressent le roi Jacques Ier d’Aragon d’arranger une dispute officielle dont le but sera d’établir l’infériorité de la position juive et, partant, d’imposer l’idée d’une conversion massive.
Pareil débat ne constitue pas une première. En 1240 déjà, une controverse judéo-chrétienne s’est officiellement tenue à Paris. Son objet premier : tenir sur la sellette le Talmud, livre sacré pour les Juifs. Mais la liberté de parole des disputants juifs y avait été fort restreinte. L’Église se proclama victorieuse, et l’on brûla sur les places publiques de très nombreuses copies du Talmud.
L’esprit plus tolérant de Jacques Ier d’Aragon ne saurait cautionner une telle parodie de justice. Les dominicains le savent, qui changent d’approche. Ainsi que l’écrit Hyam Maccoby, ils invitent les Juifs à un débat “ où non pas la délation comme à Paris, mais la courtoisie et la persuasion seront à l’honneur ”. (Judaism on Trial.) Comme principal intervenant dans la dispute, ils désignent Pablo Christiani, Juif apostat devenu prêtre dominicain. Nul doute à leurs yeux que ses connaissances rabbiniques et talmudiques leur assureront gain de cause.
Pourquoi Naḥmanide ?
En Espagne, une seule figure a l’étoffe spirituelle pour incarner la partie juive dans la joute : Moïse ben Naḥman, ou Naḥmanide. Il naît à Gérone aux alentours de 1194. Adolescent encore, il se distingue par sa science biblique et talmudique. Vers la trentaine, il a déjà rédigé un commentaire sur la majeure partie du Talmud, et joue bientôt un rôle décisif de conciliateur dans la controverse qui entoure les écrits de Maimonide et qui menace de diviser la communauté juive. On voit en lui le bibliste et le talmudiste le plus brillant de sa génération, son empreinte sur le judaïsme de l’époque ne le cédant peut-être qu’à Maimonide.
L’emprise de Naḥmanide sur la communauté juive de Catalogne est considérable, et Jacques Ier lui-même le consulte sur diverses affaires d’État. Sa finesse d’esprit force le respect de tous, y compris des non-Juifs. Les dominicains sentent que pour donner l’estocade aux Juifs, c’est lui, leur illustrissime rabbin, qui doit débattre.
Naḥmanide marque sa réticence. Les dominicains, il le sait, n’ont aucune intention d’en découdre à la loyale. Il doit en outre répondre aux questions sans en soulever une seule. Il accède néanmoins à la requête du roi, sous réserve d’être autorisé à répondre librement. Jacques Ier accepte. Au Moyen Âge, pareille licence de parole, fût-elle relative, est sans précédent et ne se reverra plus, gage de la haute estime dans laquelle le roi tient Naḥmanide. Celui-ci sait l’enjeu énorme. Qu’il soit jugé trop combatif dans la dispute s’avérerait désastreux et pour lui et pour la communauté juive. La violence peut exploser à tout moment.