Guy Bugault
Revue de l'histoire des religions Année 1987 Volume 204 Numéro 1 pp. 86-88
André Bareau, En suivant Bouddha, Paris, Philippe Lebaud, 1985, 24 x 15 cm, 308 p. — Depuis de nombreuses années, le précieux petit livre de M. André Bareau, Bouddha, Seghers, 1962, était devenu introuvable, au grand dam de nos étudiants et du public désireux de s'instruire à des sources sûres. Or, voici que notre attente est non seulement satisfaite mais comblée. En effet, cette nouvelle édition est remaniée et surtout considérablement augmentée. Si l'on ajoute que son format s'est lui aussi agrandi, que la qualité de l'impression et de l'iconographie a fait les mêmes progrès, le lecteur n'est pas loin d'avoir en mains un nouvel ouvrage.
Outre certains détails de rédaction, les remaniements portent avant tout sur la redistribution du contenu de l'ancienne Préface, devenue Introduction. L'auteur a conservé dans celle-ci une part importante de la mise en situation historique. En revanche, la présentation de la doctrine bouddhique qui occupait les chapitres III-VI de l'ancienne Préface se trouve ventilée comme suit. Chacun de ces chapitres concernant le monde de la douleur, l'origine de la douleur, sa cessation, la voie qui y mène, soit les quatre nobles vérités, a été reporté en tête des textes correspondants. Il y a là un avantage pédagogique certain : la proximité intime du texte et du commentaire favorisera beaucoup l'assimilation de la doctrine bouddhique par le lecteur.
Quant aux nouveautés du présent volume, signalons d'abord dans l'Introduction une brève mais précieuse esquisse de « L'Inde au temps du Bouddha », ainsi qu'un aperçu sur « La Littérature canonique du bouddhisme antique » : aperçu technique essentiel, si l'on veut savoir à travers quels documents historiens et philosophes s'efforcent de reconstituer l'enseignement attribué au Bouddha à partir de la tradition qui a suivi. L'auteur, qui est passé maître dans la connaissance des sectes du bouddhisme ancien, parvient à nous donner une idée précise et claire de ce domaine fort complexe et qui recouvre au moins « un demi-millénaire ».
Du côté des textes choisis et traduits, il y a aussi de nombreuses additions. Outre les extraits du Sutta-nipâta (p. 205-212), elles portent essentiellement sur les deux extrémités de la vie du Bouddha, sa jeunesse et les débuts de sa prédication d'une part (liv. I), ses derniers moments d'autre part (livr. III). On a ici le sentiment très net que le lecteur bénéficie des savants travaux de l'auteur entre 1962 et 1985 : notamment ses Recherches sur la biographie du Bouddha dans les Sûlrapitaka et les Vinayapitaka anciens (3 vol., 1963, 1970, 1971), ses recherches sur le terrain concernant la géographie du bouddhisme, ses cours au Collège de France sur les six versions du Mahâpari- nirvâna-sulra, une pâlie, une sanskrite, quatre chinoises (voir p. 215). Les retombées d'une vaste érudition parviennent ainsi sous une forme accessible au lecteur non spécialiste, désireux de s'instruire. C'est là un complément d'une valeur considérable, car l'auteur, joignant à un bon sens instinctif toutes les ressources de la critique philologique et historique, s'efforce de démythifier maints récits et de démêler le fond historique d'avec les innombrables accretions légendaires. La légende peut avoir, néanmoins, valeur de « testament spirituel », comme on le voit à propos du Mahâparinirvûna-sulra.
Le choix des textes, enfin, apporte d'autant plus de satisfaction qu'on ne dispose, jusqu'à présent, en français que d'un tout petit nombre de traductions fiables, et combien fragmentaires. Quant aux bibliographiques principes qui ont guidé M. Bareau dans son choix, ils sont, nous semble-t-il, au nombre de trois. D'abord, dans ce volume comme dans le précédent, il s'est volontairement limité à la littérature du bouddhisme ancien, dans le but d'approcher autant que possible une vérité historique, avant que le flot du merveilleux ne recouvre le tout. Parmi les textes anciens, il a retenu les deux premières Corbeilles, Sûlra et Vinaya, écartant fort justement la troisième plus tardive, VAbhi- dharma ou Scolastique, dont le caractère canonique prête à discussion. S'étant ainsi restreint aux sources les plus sûres, M. Bareau, à l'intérieur de ce cadre défini, a effectué le mouvement inverse : il s'est voulu résolument pluraliste, toujours guidé par le même souci de vérité. Pendant longtemps, en effet, l'Ecole anglaise nous a fait voir le bouddhisme aux couleurs de Ceylan et du pâli. Mais, remarque M. Bareau, « comme aucune des sectes antiques, celle des Theravàdin pas plus que les autres qui, elles, ont toutes disparu, ne peut revendiquer avec raison une orthodoxie qu'elle refuserait aux autres, ces textes (du présent volume) ont été choisis librement dans les différentes versions des recueils canoniques parvenus jusqu'à nous » (p. 33). Afin d'éviter cet arbitraire et pour nous donner une image plus complète, M. Bareau n'écarte aucune secte (Theravâdin, Dharma- guptaka, Mahïçâsaka, Sarvàstivâdin, etc.) non plus qu'aucune langue : pâli, sanskrit, chinois. Grâce à l'étendue de son savoir. Les documents iconographiques ont été commodément regroupés au milieu du volume (entre p. 148 et p. 149). Une carte bien utile pour situer concrètement l'Inde bouddhique dans l'histoire et la géographie se trouve p. 21. L'indispensable Glossaire précède une Bibliographie complétée et mise à jour. Remercions donc M. André Bareau pour cet ouvrage qui rendra tant de services à nos étudiants, et qui communiquera sa science à un large public. La précision et la clarté coutumières de l'auteur lui vaudront aussi l'admiration du lecteur savant.. Guy Bugault.
Persée © 2005-2015
http://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_ ... andr%C3%A9