Un peu d'étymologie.
Méfions nous des étymologies hâtives et des transcriptions tout aussi rapides.
En Actes 4,13, il est écrit des apôtres Pierre et Jean qu'ils sont non seulement :
1 : des illettrés ( en grec : des agrammatoi - mais également
2 : des idiôtai, mot grec dans lequel, on entend très facilement le mot français “idiot”.
Mais qu'est-ce qu'un idiot ? Et qu'est ce que ça signifie en grec idôtes ?
le mot idiotes est un mot de la famille du mot idios qui désigne ce qui appartient en propre, ce qui est particulier, séparé, distinct. L'adjectif idios a donné un certain nombre de dérivés dont au moins un idiôma, qui signifie “propriété particulière”, “particularité de style” et l'adjectif qui va avec idiômatikos ont des équivalents en français : idiôme et idiomatique. Mais quel est le rapport entre un idiome et un idiot ?
Le mot français “idiot” vient du grec idiôtes qui signifie d'abord, simple, particulier.
Dans ce sens là, si vous n'êtes ni président, ni député ou maire, vous êtes, nous sommes tous des idiôtai, pluriels en grec de idiôtes.
Cet adjectif fait toujours référence à un contexte.
Le citoyen est idiotes par opposition à l'état, ou au roi, le justiciable l'est devant le magistrat, le fidèle face au prêtre.
Idiôtes devient ainsi la désignation de tout individu de condition modeste, ou encore toute personne étrangère à telle ou telle discipline,
le non médecin par rapport au médecin,
l'amateur par rapport au professionnel, bref :
le non spécialiste quelque soit sa capacité de faire et de comprendre.
Car les idôtai sont loin d'être tous des idiots !
Dans l'Ancien Testament.
Ce sens du mot idiôtes, nous le lisons dans le seul verset de l'Ancien Testament où ce mot apparaît en Proverbes 6,8,
dans un texte qui ne se trouve que dans la Septante, dans la version grecque et non dans la version en hébreu :
[la fourmi] va voir l'abeille et apprend à quel point elle est laborieuse et comment son travail est digne de notre respect :
c'est que les rois comme les simples citoyens consomment, pour leur santé des fruits de son labeur.”
En d'autres mots : mangez du miel, c'est bon pour tout le monde, pour les rois comme pour les idiôtai.
Dans le Nouveau Testament.
Il est fort possible que le sens qui vient d'être évoqué dans l'Ancien Testament grec soit celui que l'auteur a voulu indiquer en Actes 4,13-15,
le texte évoqué pour commencer à propos de Pierre et Jean :
En voyant l'assurance de Pierre et de Jean, ils [les membres du tribunal religieux] étaient étonnés, car ils se rendaient compte que c'étaient des gens illettrés et non-spécialistes. Ils reconnaissaient en eux ceux qui étaient avec Jésus.
Mais comme ils voyaient debout auprès d'eux l'homme guéri, ils n'avaient rien à répliquer,
ils leur ordonnèrent de sortir du tribunal et délibérèrent entre eux.
Pourtant on peut faire une lecture un peu différente de ce texte. Pour les grecs comme pour nous, en effet, un non spécialiste est souvent pris pour un imbécile qui n'y connaît rien.
Or ici, les apôtres sont non seulement idiôtai mais agrammatoi, illettrés.
Dans la littérature grecque idiôtes est parfois associé à apragmôn, inactif, incapable (Platon, La République). Il désigne aussi le rustre, agroikos, c'est-à-dire à la fois un paysan mais aussi un être sans culture. Toujours chez Platon idiôtes est opposé à dêmiourgos, créateur. L'idiôtes est incapable, dit-on, de saisir la subtilité des orateurs, d'apprécier les exploits des athlètes.
Quel que soit le domaine auquel il est fait allusion l'idiôtes est aussi celui qu'il n'y connaît rien, l'amateur au sens négatif du terme.
C'est peut-être pour cela que les apôtres sont exclus du tribunal dont ils ne peuvent saisir la portée des débats.
Car le récit du livre des Actes (chap.4) joue sur les deux sens du mot idiôtes.
Pour les membres savants du tribunal rabbinique, les hommes qu'on leur a amenés ne sont pas des spécialistes de la loi.
Ils ont l'air de deux illettrés, ce qu'ils sont peut-être. On sait que Jésus ne recrutait pas ses disciples parmi les intellectuels de son temps.
Mais pour le lecteur chrétien, cette ignorance souligne le miracle : Dieu vient de guérir un homme par le ministère de ces deux illettrés. Dieu vient palier leur faiblesse, comme la nôtre. Il jette la confusion au sein des assemblées savantes et respectées.
On retrouve ce mot idiôtes à deux reprises dans des textes de Paul,
Dans la deuxième lettre aux Corinthiens 11,5-6 :
Or j'estime n'avoir été inférieur en rien à ces ‘super-apôtres’.
Si je suis nul pour ce qui est de l'éloquence, je ne le suis pas pour ce qui est de la connaissance ;
nous vous l'avons clairement montré, de toute manière et à tous égards.
Paul se présente ici comme un idiôtes tô logô, un “non-spécialiste en parole”.
Ce n'est pas un “pro” . Si les autres apôtres sont devenus des missionnaires professionnels, s'ils ont de l'aisance et de la pratique, lui ne saurait y prétendre.
Paul renverse ici ce qui est dit de Pierre dans les Actes, mais n'est ce pas une subtilité d'un grand orateur, que de dire qu'il n'est pas un orateur ?
Mais ce non-spécialiste sait par expérience qu'il faut savoir communiquer avec le plus grand nombre. C'est le sens de ce dernier passage dans la première lettre aux Corinthiens. Il est question ici de la glossolalie, aussi appelé le “parler en langues”, une sorte de prière dans laquelle sont prononcés des mots incompréhensibles.
Lisons 1 Corinthiens 16, versets 13 à 16 puis 23 à 28 :
Que celui qui parle en langue prie donc pour qu'il lui soit donné d'interpréter.
Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure stérile. Que faire alors ?
Je prierai par l'Esprit, mais je prierai aussi de façon intelligible ;
je chanterai par l'Esprit, mais je chanterai aussi de façon intelligible.
En effet, si c'est par l'Esprit seulement que tu prononces la bénédiction,
comment celui qui est assis parmi les non-spécialistes répondra-t-il « Amen ! » à ton action de grâces, puisqu'il ne sait pas ce que tu dis ?
Admettons que l'Eglise entière se rassemble et que tous parlent en langues ;
s'il survient des non-spécialistes ou des non-croyants, ne diront-ils pas que vous êtes fous ?
En revanche, si tous parlent en prophètes et qu'il survienne un non-croyant ou un non-spécialiste,
il est confondu par tous, il est jugé par tous ; les secrets de son cœur deviennent manifestes.
Alors, tombant face contre terre, il adorera Dieu en déclarant : Dieu est réellement parmi vous !
Que faire alors, mes frères ?
Lorsque vous vous réunissez, chacun ayant un cantique, un enseignement, une révélation, une langue, une interprétation, que tout soit constructif.
Si l'on parle en langue, deux ou trois fois tout au plus, et à la suite, qu'il y ait aussi quelqu'un qui interprète.
S'il n'y a pas d'interprète, qu'on se taise dans l'Eglise, qu'on parle pour soi-même et pour Dieu.
Pour Paul il importe que l'Evangile demeure une parole compréhensible pour le plus grand nombre. Cela ne signifie pas, tout au contraire, que le discours de l'Eglise doive rendre les gens plus bêtes ou plus crédules. Il doit être sensé, compréhensible, avoir et donner du sens, si bien que tous gens de science et gens de la rue y reconnaissent une vérité qui nous dépasse et nous rend intelligent autrement.
Car si Pierre et Jean étaient illettrés et non-spécialistes, ils avaient compris déjà bien des choses !
http://biblique.blogspirit.com/archive/ ... diots.html
L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible”
sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 6 décembre 2008