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Thècle

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Ecrit le 29 mars24, 03:27

Message par Thècle »

Sermon contre la montagne
par Thècle


CC BY-NC-SA

Pourquoi êtes-vous chrétien.nes ?
Pourquoi portez-vous Dieu comme une montagne ?

Marcherez-vous donc tardivement ?
Êtes-vous pétrifié.es comme vos pierres et vos idoles ?

Moi, je me suis jeté.e dans le bassin des serpents.
J'ai regardé le Léviathan.
Et je ne suis pas pétrifié.e.

Vous êtes pires ou meilleur.es que vos textes : vous tordez le cou des versets comme on détruit une prison.
Mais certain.es d’entre vous utilisent le lien d’amour comme une chaîne et une servitude.

Savez-vous que Dieu est un miroir ?
Pourquoi faites-vous la grimace devant le miroir ? Pourquoi singez-vous vos prières ? Pourquoi avez-vous des postures ? Pourquoi dites-vous « droiture », « folie », « beauté », « laideur », « nature », « contre-nature », « bien », « mal » , « licite », « illicite » ?
Les saint.es de votre Église sont-iels des clowns qui n’acceptent ni l’échec ni la chute ?

Vous êtes meilleur.es que vos textes.
Vous prenez excuse de votre ombre dans la lumière pure.
La pureté est le meilleur prétexte du crime.
Vous avez dressé des bûchers et vous respirez l’odeur de vos chairs condamnées comme un parfum d’encens !
Vous appelez votre malheur « promesse ».

Même les chiens n’appellent pas « amour » leur servitude.

Vous avez appris le langage pour mentir.
Vous avez appris le vêtement pour cacher.
Vous avez appris l’Église contre le ciel.

Si vos églises sont une prison, pourquoi n’en sortez-vous pas ?
Pourquoi refuser l’arc-en-ciel des mille nuances d’êtres et d’amour ?
Pourquoi dire « Un » ? Pourquoi dire « Vérité » ?
Pourquoi assassinez-vous l’amour d’une majuscule ?

Les vitraux de vos églises ne vous ont-ils pas enseigné que la lumière est couleur ?

La couleur est-elle définie ?

Qu’est-ce que le rouge ?
Qu’est-ce que le bleu ?
Qu’est-ce que l’amour ?

Ne me répondez pas.
On ne sait pas où l’arc-en-ciel prend racine.

Et si votre sourire n’est pas l’arche qui inclut chaque amour et chaque être, rien ne vous servira d’être juste.
Votre nudité après le malheur du Déluge sera sujet de dérision.
Dépouillez-vous de vos larmes comme les nuages se défont des eaux élevées !
Jouez avec le Léviathan. Noyez-vous dans l’amour.
Soyez profond.es et simples.
Car la nudité sans amour est sujet de dérision.

Le vin nouveau est versé chaque matin comme une rosée sur vos visages.
Désobéir est un vin nouveau.
Tant que vous ne serez pas capables de désobéir aux gardes de la ville, vous ne serez pas amoureux.ses.
Enivrez-vous d’amour.
Soyez sobres de discours et de sagesse.

Regardez l’Écriture comme une parole de sable.
Lisez comme on écoute.
Ne saisissez pas.
Ne fixez pas.
Même les sourd.es ont encore leurs oreilles !

Emparez-vous du serpent comme d’un bâton de berger.e.
Parlez avec le serpent.
Quand la parole n’est pas facile, demandez au Double.
Que votre langue soit double !
La langue et l’ombre de la langue font le poème.
Et vous guiderez toutes vos passions hors de l’esclavage.

Qui d’entre vous emmènerait Isaac sur la montagne ? Qui d’entre vous livrerait au désert la fécondité verdoyante de l’amour ? Qui d’entre vous ferait de son enfance une montagne et de son amour un désert ?

Arrêtez donc de croire.
Arrêtez donc d’attendre.
Vous aurez plus de place pour aimer.

Vous utilisez vos pénitences, vos rites, vos églises, vos prêtres pour dresser la première ville, le premier mur. La première pierre et le premier scandale, c’est l’Église ; elle vous fera chuter si vous n’apprenez pas à aimer.

Aimer ne tue pas.
Aimer n’est pas violent.
Dire « tu es », c’est tuer.
Dire ce qu’est la « vie », c’est violence.

La lumière coûte cher et pèse lourd. Laissez donc l’or et le soleil pour celleux qui ont cessé de voir.

Si vous voyez, prenez pour Épouse la nuit.

Vous êtes des ombres.
Vous n’êtes pas l’ombre qui suit.
Vous êtes l’ombre qui précède.
Vous êtes l’abîme de demain.
Vous êtes chacun.e un chemin tracé par le vent.

Pourquoi avez-vous condamné le corbeau ?
L’Épouse n’est-elle pas noire grâce au soleil ?
Le corbeau va et vient : il est le souffle dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va.

Suivez la voie du corbeau.
Soyez damné.es pour avoir tendu la main aux damné.es.
Brûlez d’amour l’enfer.
Pourquoi avez-vous peur de l’obscur ?

Vous mesurez votre piété à la longueur de votre jupe et de vos discours.
Vous voulez la Femme.
Vous voulez l’Homme.
Qui d’entre vous a appris l’être humain ?

Le sexe est une source : si vous le trouvez laid c’est parce que votre visage s’y reflète quand vous vous penchez pour y boire.
La première étreinte fut celle du ciel et de la terre. Elle était mélange, désordre et nuance car le sexe est impur.
Et l’impur est amour.

L’hypocrisie de la feuille de figuier fut le premier crime.
Le figuier est maudit s’il vous donne des pagnes pour mentir mais nul fruit pour vivre.

Respirez la brise du soir.
Ne vous cachez pas face à la tombée de la nuit.
Ne vous cachez pas devant la mort.
Ce que vous appelez « mort » est bien souvent ce que vous avez vous-même tué.

Gardez la vigne et gardez la Jumelle et gardez le Jumeau.
Dieu ellui-même a le visage double.
Votre Dieu est l’offrande que vous lui faites. Votre Dieu est l’adelphe que vous tuez.
Si vous aimez, votre Dieu est amour.
Si vous tuez, votre Dieu est meurtre.

Si vous tentez votre Dieu, les anges aux mains ailées vous rattraperont toujours.
Le chat retombe sur ses pattes.
La.e criminel.le ellui-même a toujours de bonnes excuses à la bouche.
Le mal qui se raccroche toujours au vêtement trompeur du bien : voilà ce qu'il y a de tragique ici-bas.

Cessez de croire en Dieu.
Les sans Dieu vous précèdent : iels n’ont pas appelé leur amour « Seigneur ».
Iels disent « je » là où vous dites « vous ».
Iels aiment là où vous avez peur.
Iels n’attendent pas le coq à la voix claire, le triple reniement et le triple Visage : iels aiment dans la nuit et iels disent « Zéro » là où le zéro est richesse.

Oubliez Jérusalem.
Oubliez votre droite.

Marchez sur le chemin sans histoire et sans lendemain.
N’ouvrez votre bouche que pour dire « Ô ». N’ajoutez rien à cela. Votre bouche sera promesse. Votre bouche sera le chas de l’aiguille.

Vos prières toutes faites sont des chameaux.
Pourquoi portez-vous Dieu comme un fardeau ?

Tuez Dieu au nom de la.e prochain.e mais jamais l’étranger.e au nom de Dieu.
Si votre prochain.e ne vient pas d’un autre pays, c’est que vous vous regardez vous-même dans ses yeux.
La.e prochain.e est toujours autre.
L’amour aime les pays lointains qui frappent à la porte toute proche.

Détruisez Babel.
Le langage de l’amour est un langage obscur.
Si une Église prétend vous unir sous la même règle et les mêmes noms, elle ne fait que vous annuler.
Il n’y a pas de Loi, il n’y a pas d’Universel, il n’y a pas d’Église.
L’amour ne se bâtit pas sur une pierre.
Doutez comme Thomas. Touchez l’autre pour aimer. Aimez pour croire en l’autre.
Si votre amour n’a pas les mains sales, il n’est qu’hypocrisie.
Si vous craignez qu’une lesbienne, une amoureuse, une étrangère vous éloigne de Dieu, n’ayez crainte : vous êtes déjà bien loin d’ellui.

Vous avez choisi la lettre.
La ville de Sodome a refusé l’hospitalité.
Vous avez rendu nos Écritures inhospitalières.

Vous avez rendu l’amour inhabitable.
Vous avez fait de l’étreinte un cilice.
Vous avez fait du cœur qui bat un poing qui frappe et blesse la poitrine.
Vous avez fait de la porte où l’on frappe un visage que l’on gifle.

Vous avez envisagé le diable.
Vous lui avez donné le visage de votre désamour.

Si vous vous retournez vers vos idoles, votre patrie, votre dogme, vous deviendrez statues de sel.
Déracinez-vous.
Vous êtes ces arbres étranges dont les racines sont source de mort : vous êtes une colonnade où l’on fouette, vous êtes un temple aux portes closes, vous êtes un tombeau de marbre blanchi.
L’arbre mange dans la boue et danse dans le ciel.
Vos temples périssent dans la boue et condamnent dans le ciel.
Videz vos temples.
Habitez votre cœur.

Pourquoi brandissez-vous la croix ? N’avez-vous pas assez de drapeaux à agiter ? Vous faut-il encore des frontières ? Vous faut-il encore des racines ?
La croix n’est pas un arbre.
La croix n’est pas une fleur.
La croix n’est pas un chemin.
La croix n’est pas un mystère.
Vous la voyez tous les jours dans l’enfant que vous blessez, dans la main que vous rejetez, dans l’amour que vous désunissez, dans l’œil des femmes que vous méprisez, dans la bouche des amantes que vous condamnez, dans la folie que vous persécutez, dans la bizarrerie que vous corrigez, dans le plumage sombre des oiseaux que vous clouez aux portes.

La croix, c’est le buisson d’épines qui a choisi de régner.
C’est l’injustice devenue sacrée.
C’est la mort de l’innocence érigée en triomphe.

Pourquoi ne voulez-vous pas le roseau fragile ? Pourquoi ne respirez-vous pas le cèdre du Liban ? Pourquoi ne mettez-vous pas dans votre bouche la feuille fraîche de l’olivier ?
Pourquoi n’êtes-vous pas tendres comme le bois vert ?
Pourquoi vous faites-vous une arche étanche ?
La maison des Époux.ses est de bois.
La maison de l’amour brûlera.

Le paradis est une flamme qui danse.
Et le fond de l’enfer est une parole gelée.
Vous n’arriverez jamais au paradis car le paradis ne cesse de se poursuivre de ciel en ciel.
L’enfer ne se creuse pas.
Si vous creusiez l’enfer, vous y trouveriez Dieu.
Mais alors l’enfer deviendrait puits et cesserait d’être impasse.
N’oubliez pas d’être renard, d’être feu, d’être danse.
Là où vous reposerez votre tête, là aussi sera votre enfer.

Là où vous cesserez de ruser, vous deviendrez troupeau.
Là où vous serez troupeau, vous serez livré.es aux loups.
Là où les loups mangeront, les loups diront « Amen ».

Pourquoi avez-vous dévoré Dieu ?
A quoi bon manger Dieu si sa présence n’est pas dans votre ventre ?
A quoi bon manger Dieu si sa présence n’est pas dans votre merde ?
La ville céleste est un cristal transparent.
Tant que vous serez sur terre, aimez la chair impénétrable.

Pourquoi buvez-vous Dieu si vous avez peur de l’ivresse ?
Pourquoi avez-vous planté une vigne si vous n’acceptez pas le rire ?
Pourquoi maudissez-vous le rire ?
Là où vous ne riez pas, vous créez des idoles.

Si le rire n’est pas dans vos Écritures, c’est pour que vous riiez mieux de vos Écritures.
Seul ce qui est sérieux doit être tourné en dérision.
La mort n’est ici que pour rire de vous.
Cessez donc de vous prendre au sérieux et vous cesserez peut-être de mourir.

Ne changez mes mots que pour ouvrir.
Si vous voulez des mots qui ferment lisez la Loi et jetez-vous dans le filet.

Que votre parole soit errante.

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