Ibn Taymiyya, théologien du XIVe siècle et gourou de la Twittosphère islamiste
Ce penseur musulman est devenu


Lui qui réprouvait le culte des saints se retrouve encensé comme l'un d'entre eux. Sept cents ans après sa mort en 1328, l'ouléma (théologien et juriste) Ibn Taymiyya est devenu


Plus largement, dans le monde musulman, la figure de ce théologien partisan d'un retour strict aux écritures intrigue. Les recherches internet locales témoignent de cette popularité impressionnante.

Vedette des milieux fondamentalistes ou tout simplement pieux, islamistes ou sympathisants du djihad, Ibn Taymiyya est aussi explicitement utilisé comme référence juridique par le «Califat» de l'État islamique. Il y a quelques semaines, au moment de mettre en circulation une fatwa appelant à la mort de Tareq Oubrou, le recteur de la Grande mosquée de Bordeaux jugé trop libéral, l'EI citait ainsi le théologien, comme le notait alors Libération.
C'est désormais un fait: Ibn Taymiyya est sorti de son anonymat en Occident et de l'oubli relatif où il demeurait au Moyen-Orient pour se trouver drapé dans une légende noire, moulé dans une réputation sulfureuse faisant de lui l'avocat postmortem du djihadisme califale. Le lecteur curieux de se confronter à sa vie et à sa pensée découvre une personnalité complexe et ombrageuse.
Un conservateur très spirituel
Ibn Taymiyya naît dans une famille kurde dans le sud-est de la Turquie actuelle en 1263. Enfant, il doit cependant s'établir à Damas avec sa famille à cause des guerres alors déchaînées par les Mongols contre l'empire musulman. Sa trajectoire intellectuelle et son passé familial l'amènent à devenir un savant hanbalite du nom de cette école de pensée qui veut faire dériver la loi des Écritures saintes et de la tradition du prophète Mahomet et ses compagnons.
En conséquence, Ibn Taymiyya s'affirme comme un conservateur au XIIIe siècle et l'ennemi des innovations au sein de la foi. Il souhaite aussi en revenir à l'exemple des premiers musulmans, les «salaf» (mot arabe qui donnera bien sûr sa racine au mouvement salafiste). Dans un empire dominé alors par les mamelouks, il apparaît enfin comme va-t-en-guerre en prônant le djihad contre les Mongols qu'il voit comme de faux musulmans, des «associationnistes» (c'est-à-dire ne respectant pas le strict monothéisme islamique).
Éric Geoffroy, islamologue et grand spécialiste du soufisme


«C'est vrai qu'Ibn Taymiyya était assez emporté, péremptoire, mais il faut remettre les choses dans leur contexte






Ibn Taymiyya n'est pas seulement en butte aux étrangers. Aujourd'hui, adoré parmi des franges islamistes minoritaires





Les profanateurs de sépultures
Si sa dépouille repose de nos jours à Damas, les fondamentalistes ont exhumé sa mémoire. Et ils n'ont pas attendu Daech. Alors qu'il jouit après sa disparition d'une certaine notoriété

Les wahhabites aiment sa volonté de se conformer à la vie des premières générations de musulmans, son hostilité à l'égard des modifications de la foi et des pratiques religieuses, son opposition aux dévotions populaires rendues devant les tombeaux de saints. Autant de traits que l'État islamique peut aussi mettre en avant à présent:
«Les wahhabites, qui ont édité toutes ses fatwas, se sont servis de lui, en atrophiant sa pensée. Et, pour le reste, Ibn Taymiyya n'aurait jamais validé ce que fait Daech. Il était contre les visites aux tombes de saints, c'est vrai, mais jamais il n'aurait accepté qu'on les fasse sauter. Il a écrit une fatwa contre les chiites ismaëliens en son temps mais seulement parce qu'il considérait qu'ils avaient pactisé avec les Mongols. Il n'aurait pas cautionné leurs massacres aujourd'hui», s'exclame Éric Geoffroy.
La postérité nourrit un autre grief à l'égard d'Ibn Taymiyya, alourdissant encore le dossier qui l'accuse de collusion avec l'islamisme moderne: il aurait été l'adversaire farouche d'un «Islam des Lumières» médiéval, mêlant le Coran et la pensée d'Aristote ou de Platon

«Franchement, il n'est pas le seul à l'époque à être contre la philosophie gréco-arabe. Lui et ses semblables estiment que la philosophie relativise le message de Mahomet en prônant que la raison peut “challenger” la révélation. Ibn Taymiyya s'oppose à ce discours qui est tenu par des gens qui, comme Averroès par exemple, sont très élitistes. Pourtant, la pensée d'Ibn Taymiyya est riche et complexe mais actuellement on simplifie à outrance», déclare l'auteur de L'Islam sera spirituel ou ne sera plus.
La conclusion est du baratin pour faire endormir le monde...
Slate