Pourquoi le Pape François est moins angélique qu'on ne le croit et plus pessimiste qu'on ne le pense face à la violence du terrorisme islamiste
Le parallèle établi par le pape entre les violences islamistes et catholiques a été incompris et jugé naïf par nombre de pratiquants. Mais c'est oublier une qualité essentielle du souverain pontife : il a été élevé chez les jésuites, réputés pour arriver à leurs fins par des voies détournées, quitte à abonder d'abord dans le sens général. Ainsi, par de tels propos, le pape veut sans doute éviter de nommer le danger, d'en donner la véritable mesure, pour ne pas faire advenir ce qu'il craint et pour mieux le circonvenir plus tard.
Stratégie à la Pie XII
Pourquoi le Pape François est moins angélique qu'on ne le croit et plus pessimiste qu'on ne le pense face à la violence du terrorisme islamiste
Atlantico : Le parallèle effectué par le Pape François entre les violences islamistes et celles catholiques a provoqué une certaine incompréhension chez les pratiquants. La situation politique dans laquelle il se trouve, dans un contexte de tensions religieuses pourrait-elle expliquer en partie les déclarations du souverain pontife ?
Christian Combaz : Quand on a été élevé chez les Jésuites, on en retire plusieurs certitudes : 1/ ils sont moins naïfs que les autres, sans doute parce que leur intelligence est plus grande, 2/ ils arrivent à leurs fins par des voies détournées quitte à abonder d'abord dans le sens général.
Donc on est obligé d'appliquer cette grille de lecture.
"Puisqu'il faut absolument trouver un exemple catholique de violence, nous a t-il dit en somme, prenons le type qui tue sa femme parce qu'elle le trompe et qui va à la messe quand même". Argument grotesque évidemment face aux massacres d'inspiration religieuse directe que nous avons subis, mais c'est justement la faiblesse de cet exemple qui témoigne qu'il s'agissait juste de lâcher aux hyènes une vague carcasse de poulet. Comme Latino-Américain, il sait très bien que les commandos armés qui descendaient dans les barrios au nom du Christ contre le marxisme il y a quarante ans étaient nombreux. Or il n'a même pas pris soin de se référer à cette réalité, qu'il connaissait pourtant très bien, pour nous citer plutôt le cas ridicule de crimes privés, de drames passionnels chez des gens qui vont à la messe. Ce qui prouve qu'il s'agissait dans son esprit de payer le diable, comme on disait autrefois, et d'enfumer l'opinion par une pirouette, en attendant quelque chose et pour cacher quelque chose.
En attendant quoi, pour cacher quoi ? C'est là qu'on devrait faire confiance à un homme aussi expérimenté. Il veut sans doute éviter de nommer le danger, d'en donner la véritable mesure, pour ne pas faire advenir ce qu'il craint et pour mieux le circonvenir plus tard. En ce sens cette pirouette papale à elle seule permet de mesurer la taille du Léviathan qui s'est dressé devant lui. Que le Pape ait pris le risque de passer pour un guignol n'est pas très rassurant sur la nature de ce qu'il a vu, de ce qu'il cherche à conjurer.
Christophe Dickès : Oui, de fait, tout le monde s’accorde à dire que le pape qui, je le rappelle, est un chef d’Etat, se doit d’être prudent quand il évoque de tels sujets. Afin précisément de ne pas attiser les tensions et les haines dans le monde. D’ailleurs, ces déclarations viennent juste après quelques mots très mesurés sur la Turquie. Mais dans le cas présent, il a dit : "Je n'aime pas parler de violence islamique, parce qu'en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie : celui-là qui tue sa fiancée, tel autre qui tue sa belle-mère, et un autre… et ce sont des catholiques baptisés ! Ce sont des catholiques violents. Si je parle de violence islamique, je dois parler de violence catholique." Or, si vous me permettez cette subtilité sémantique, "des catholiques violents" et " la violence catholique", ce n’est absolument pas la même chose.
Oui, des baptisés, qui ont oublié les promesses de leur baptême (le "renoncement à Satan" et au mal), commettent aussi des meurtres dans le monde. Mais ces gens ne le font pas au nom du catholicisme… Or Daech dit agir au nom de l’Islam et cite des versets du Coran. Ce qui, dans l’appréciation, change absolument tout. De plus, on ne peut mettre sur un même pied d’égalité une organisation terroriste et criminelle se donnant le statut d’État avec des actes individuels qui peuplent les tribunaux du monde entier.
D’ailleurs, même notre président de la République parle désormais de "terrorisme islamique", ce qu’il s’était refusé de faire. François, par facilité, aurait pu parler des guerres de religion dans l’histoire de l’Église ou bien encore des violences entre chrétiens et musulmans dans certains pays d’Afrique au cours des dernières décennies. Mais il s’est enfermé lui-même dans une sorte de piège sémantique improvisé. Provoquant en conséquence des réactions indignées de plusieurs milieux catholiques à travers le monde. Pourtant, le pape sait que le christianisme est la première religion persécutée dans le monde.