« Il semble en effet que le but essentiel de l'histoire coranique d'Abraham soit l'exaltation du Monothéisme et c'est là-dessus que le débat s'engage avec les Scripturaires tout autant qu'avec les Associationnistes arabes. Or les récits de la Genèse semblent caractériser la Révélation faite à Abraham par un autre objet que le monothéisme, à savoir la promesse. C'est de toute façon la Promesse qui est l'objet spécifique de la Foi d'Abraham dans le Nouveau Testament (Gal. et Rom). Le Qor'ân opérerait donc comme un renversement total de la présentation biblique en subordonnant la Révélation de la promesse au point de vue dogmatique du Monothéisme »
Y. Moubarac, 1951 « Abraham en Islam » in Cahiers Sioniens, nº2 p. 111.
Je tiens à remercier gracieusement l’auteur de la chaine youtube Hoopoe The Birds pour sa collaboration incessante, lui qui m’abreuve au quotidien de nombreux liens en vue d’élargir mon horizon dans le chapitre épineux de l’interreligieux. Chapitre dans lequel, il est vrai, je suis novice. Merci.
Nous sommes toujours dans le cadre du dialogue avec Karim Hanifi en présentant, dans la continuité des deux premiers articles une étude de cas : la ligature d’Ismaël.
Voir : http://mizab.over-blog.com/2019/03/dial ... i-i/1.html
http://mizab.over-blog.com/2019/04/dial ... ii1/6.html
Mener une enquête à l’intérieur des pages de la Bible est loin d’être chose aisée tant celle-ci fut soumise aux vicissitudes du temps au gré des destructions, des déportations, des alliances et des rivalités internes, notamment entre la Judée et Samarie, entre Juda et Israël. La tâche est d’autant plus difficile que le texte original a subi plusieurs remaniements, et que la recherche aujourd’hui est capable d’y détecter plusieurs couches de rédactions. C’est ce que constate le chercheur Dany NOCQUET, à travers son ouvrage extrêmement documenté La Samarie, la Diaspora et l'achèvement de la Torah. Ce dernier remarque notamment que les occurrences de Sichem, Béthel et Garizim de la Genèse à Jos 24 se présentent comme l’un des marqueurs de l’apport samarien à la naissance de la Torah.
Le travail autour des sites de Sichem et de Béthel en Genèse, et celui sur Sichem en Jos 24 en passant par les mentions du Garizim dans le Deutéronome sont une réécriture samarienne de l’histoire patriarcale, et une appropriation samarienne des traditions législatives du Deutéronome. Cet apport samarien se met à distance et prend ici le contrepied de l’historiographie judéenne et deutéronomiste qui conteste la légitimité de Samarie dans les livres de Samuel et Rois jusqu’aux livres d’Esdras et de Néhémie. Ce travail éditorial est à situer à la fin du 5ème ou au début du 4ème siècle, au moment où le yahwisme judéen s’affirme sous Esdras-Néhémie en tension avec le pôle samarien du yahwisme. Samarie et son temple sur le Garizim sont l’un des milieux producteurs et l’un des lieux de naissance du livre de la Torah.
La critique a depuis longtemps distingué plusieurs niveaux rédactionnels qui ont été interprétés différemment au gré des paradigmes de la recherche. Une longue tradition exégétique a vu en Gn 12 un récit ancien qui aurait été retravaillé pour légitimer la dynastie davidique en raison des liens entre Gn 12,3 et 2S 7,9, et en raison de la mention d’Hébron en lien avec David. Ce lien a été fortement remis en question, et les recherches récentes attribuent le plus souvent les discours divins, ainsi que les mentions de Sichem et de Béthel, à un travail post-P et post-D. Ainsi, le récit des commencements d’Abram appartient en partie à l’étape de la rédaction finale du Pentateuque à l’époque post-exilique. Ces remarques sont d’autant plus justifiées que les mentions de Sichem et de Béthel, dans la suite du cycle d’Abraham, ne jouent plus aucun rôle. Jean Louis Ska, Les énigmes du passé. Histoire d’Israël et récit biblique, LivRoul 14, Bruxelles, Lessius, 2001, p. 42 : « Le but de ce passage est de présenter Abraham comme l’ancêtre de la communauté qui est revenue de Babylone pour reconstruire Jérusalem et son temple… Le message est clair : la bénédiction promise à Abraham vaut également pour tous ceux qui sont revenus de la Mésopotamie après l’Exil pour s’établir dans la terre de Canaan. »[1]
Or, heureusement, nous ne prenons pas pour argent comptant toutes les conclusions émises par l’historico-critique, notamment sur l’aspect légendaire de la geste des patriarches, mais il est indéniable que le texte sacré judéo-testamentaire fut l’objet de retouches à travers l’Histoire. Jean-Georges Heintz professeur à la Faculté de théologie protestante de l'Université de Strasbourg, entre 1969 et 2001, relativise l’approche historico-critique. À ses yeux, je cite : « Malgré les progrès considérables réalisés par la méthode historico-critique – notamment dans les domaines de la critique textuelle, de la philologie sémitique, de l’étude littéraire et de l’analyse des traditions par la Formgeschichte –, il faut bien noter à quel point la démarche méthodologique reste incertaine à ce jour, notamment quant à l’articulation réciproque de ces divers secteurs de la recherche entre eux. On serait ainsi fondé à reprendre le jugement, déjà énoncé il y a trente ans par un historien de l’exégèse, à savoir : « L’interprétation contemporaine de la Bible a atteint un point de crise ! » En effet, bien que l’exigence fondamentale d’une étude historique et littéraire de la Bible hébraïque ne soit plus contestée par personne, on ne peut que s’étonner de l’extrême diversité des modes d’approche et d’analyse tels qu’ils sont aujourd’hui pratiqués, souvent loin de toute base documentaire commune, donc de tout consensus et le plus souvent de manière exclusive. Un conflit radical des interprétations s’instaure donc, qu’on ne peut plus guère ignorer : il suffit, pour s’en convaincre, de feuilleter les pages de nos revues spécialisées, de consulter les actes d’un congrès ou d’un colloque en sciences bibliques, ou bien un volume de « Mélanges » (Festschriften), tels qu’ils sont régulièrement dédiés aux maîtres de nos disciplines ! »[2]
De notre point de vue, il existe un texte primitif du Pentateuque transmis par voie orale, et dans lequel la Mecque joue un rôle crucial. Par la suite, les scribes qui auraient mal déchiffré ses passages ou qui cherchaient à justifier, à légitimer, ou à délégitimer telle chose ou telle communauté, ont orienté, peut-être bien malgré eux, car nul n’échappe à sa condition, les manuscrits de façon à les faire correspondre à leur compréhension, mais aussi à leurs attentes.
Reconstitution de l’histoire
Les manuscrits de la mer morte parlent d’une façon directe de la sainte Kaaba dans l’un des ces manuscrits intitulé : Livre d’Adam et Êve où nous lisons : Verset 29 : 5 – 7 : « Adam informe son fils Sheth que Dieu indiquera aux personnes fideles où construire sa maison (MAISON DE DIEU). » Le Docteur Charles qui a traduit le livre en anglais écrit : « ne pas mentionner le temple de Jérusalem au chapitre 29 (où il est mentionné la maison de Dieu) indique que ce livre est écrit dans une ville étrangère ». Puis, il précise pour seul commentaire : « L’endroit où Adam avait l’habitude de faire sa prière est le même lieu où les musulmans ont appris à vénérer la Kaaba. »
L’autel utilisé par Abraham lors de l'Aqédah (Tg (j0) Gn 22, 9) avait selon le Targum été construit par Adam, il avait servi aux offrandes de Caïn et Abel et, finalement, Noé lui-même l'avait reconstruit après le déluge (Tg (j0) Gn 8, 20). Le targum du Pseudo-Jonathan place au Mont Moriyyah l'installation d'Adam. Dans une autre tradition, TibM 96a-b (§ 47) identifie le Mont Garizim à la direction vers laquelle se prosterne Adam, au lieu de l’appel d’Enosh, à la connaissance Hénoch, et à l’autel de Noé et d’Abraham. L’As (Pentateuque Samaritain traduit en Araméen), dans la suite du texte, se montre plus homogène en évoquant un unique autel, celui d’Adam reconstruit par Hénoch (2,14), puis visiblement par Noé (4,11), enfin par Abraham, et qui se serait localisé au « Chêne de Moré ». L’exégèse biblique est très confuse au sujet de ce fameux térébinthe. Elle ne sait pas trop de quoi il s’agit, même si des légendes ont essayé d’éluder cette énigme.
Alors, hasardons-nous à lui trouver une origine scripturaire cohérente. Avons-nous affaire à l’arbre à l’ombre duquel Abraham déposa son fils unique sur le Mont de la « vision »,[3] désignant l’endroit où le Patriarche reçut l’ordre en rêve de s’y rendre pour y abandonner Agar et son nourrisson ?[4] Ce même lieu où la Matriarche donna à l'Éternel, qui lui avait parlé, le nom d’Atta-El-Roï, car elle dit : « Ai-je vu ici la trace de celui qui me voit ? » C'est pourquoi l'on a appelé ce puits le puits de Lachaï-Roï.[5] Elle fait allusion à sa rencontre avec Gabriel qui intervient sous l’autorité de l’Éternel pour lui venir en secours au milieu du désert rocailleux de Paran, à Beer-Shiva où coula par l’effet d’un miracle Zamum ou Zamzum en ce lieu sacré de Qadesh. Là, construira plus tard, Ibrahim le saint Sanctuaire, la « Maison d’Abraham » ou la « Maison de Dieu », le fameux Béthel. Thomas Römer, un spécialiste de l’AT, se demande s’il n’y a pas là un pèlerinage. Le père d’Ishmael, en effet, procède à un véritable circuit rituel qui part du Mont Sichem, et qui, en passant par Mina le lieu du sacrifice, finit autour du Temple bâti juste à côté du « puits du serment » qui fait allusion au pacte contracté entre Agar et les descendants de Yoqtan sur le partage de la source.[6]
« Me voici » répond Abram à l’appel de son Seigneur ; « labbaïk » qui résonnera à travers les époques jusqu’à la fin du monde, marque la procession à suivre. Celle-ci sera imitée par tous les pèlerins depuis ces temps reculés. Abraham affichait sa soumission. Selon Gn 17 1-4, il était, selon les différentes versions, irréprochable, intègre, (droit ?) sans péché, parfait, ou, comme nous dit le Tagum Onkelos, il était chalim, soumis à Dieu, mouslim. Il est possible de ranger tous ces synonymes sous le terme de hanif, fidèle à Dieu. À maintes reprises, Genèse parle de maqum, ce lieu où le père d’Isaac accomplit ses rites à l’endroit où il édifia le Temple, avec l’aide de son fils, explique Le livre du juste, qui lui donne les pierres et le ciment, au pays de Moria. Le Targum Onqelos (IIème s.) donne, lui : au « pays du culte ». Cette montagne sacrée où les générations futures devront adorer le Dieu unique. Après ses fils (plusieurs midrashim envoient Isaac à la Mecque), Jacob sera le premier à répondre à l’appel de son grand-père à travers la formule désormais consacrée « Me voici ». Probablement également à la suite d’une vision, la Bible retrace son parcours, ou, en tout cas, elle nous en donne des indices. Il marchera sur les pas de l’Ami de Dieu.
À mi-chemin entre Canaan et la vallée aride de Baca, il longea le mont Tor, jabal Lawz (Louz qui signifie amende, noix, mais selon une autre phonétique loz, lauz, ce nom pourrait signifier lieu de refuge) où un membre de sa progéniture, Moïse, recevra la Loi de la Thora. Il est désormais acquis que le Sinaï se trouve en Arabie. Il arriva ensuite sain et sauf à Sichem, où il entra en paix comme il en avait fait le vœu au Tout-Puissant. Il se retrouva au milieu d’un grand et redoutable désert. Malgré son apparence inhospitalière, ce pays paisible qui tire son nom de la racine Shalom, invite ses visiteurs à vaquer en paix. Un auteur médiéval assimile Sichem à ‘Arafat qui compose l’un des sites incontournables du hadj. Il se dirigea ensuite à l’endroit qui lui fut indiqué dans son rêve, devant l’autel du Béthel. Il n’y avait rien ici ce n’est la « maison de Dieu » dans ce lieu inhabité, le lieu du Dieu unique.
À suivre…
Par : Karim Zentici
http://mizab.over-blog.com/
Voir : https://www.college-de-france.fr/site/t ... -14h00.htm
[4] Concernant le Verset : « il mit l'enfant sur son épaule, puis il la renvoya »
En fait, le déroulement chronologique des faits pose des problèmes. D'après ce verset (14), Abraham place Ismaël sur l'épaule de sa mère Hagar, qui plus tard, laisse l'enfant sous un arbrisseau (v.15). Or un simple calcul prouve qu'à cette époque, Ismaël devait avoir au moins 16 ans (il avait 13 ans à sa circoncision "Gn. XVII, 25"). Isaac naîtra un an après, et Ismaël sera chassé de la maison de son père après qu'Isaac aura été sevré "Gn, XXI, 8", c'est-à-dire à l'âge de 2 ou 3 ans selon la coutume. Le récit primitif devait parler d'Ismaël comme d'un tout jeune enfant. C'est pourquoi Von Rad dit « Au prix d'une phrase stylistiquement très heurtée, un rédacteur a changé le texte du verset 14 sans avoir réussi à écarter toutes les discordances » G. Von Rad, op. cit ., p. 237.
[5] Selon Gn 25,11, fait curieux, Isaac habite à Lahaï Roï au pays d’Ismaël, dans le sud du Néguev, et le voici contraint à immigrer vers une autre place.
[6] Beer-Shiva est donc le « puits du serment », ou, moins probable, le « puits des sept », en raison de la proximité en hébreu entre « serment » et le chiffre sept. Des légendes islamiques, sur les traces des narrations israélites, cherchent à justifier ce chiffre « sept » avec les sept chèvres de la montagne de Thabir offerte à Ismaël par ses concitoyens jurhumites.