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La spiritualité selon Pyrrhon

Sujet d'actualité Au Québec l'accommodement raisonnable, un sujet d'actualité.
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J'm'interroge

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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 15 déc.25, 06:58

Message par J'm'interroge »

.
@ ronronladouceur,

Le point décisif n’est pas que nous ayons chacun une « perspective », ni même que toute lecture comporte une part d’interprétation — cela est trivial. Le désaccord porte sur le régime de légitimité de l’interprétation.

Je ne prétends à aucune vérité sur Pyrrhon. Je soutiens simplement qu’il existe une différence essentielle entre :
- tirer des conséquences minimales et négatives de ce que les sources autorisent (ce que Pyrrhon ne fait pas, ce qu’il refuse, ce sur quoi il s’abstient),
- et projeter positivement une posture spirituelle déterminée là où les textes sont silencieux ou ambigus.

Dire « je laisse les silences ouverts » n’est pas combler par l’imaginaire ; c’est précisément refuser de transformer ces silences en thèses. À l’inverse, faire de Pyrrhon un témoin quasi mystique, indifférent à l’examen, aux oppositions argumentatives ou au discernement, ce n’est pas suspendre le jugement : c’est affirmer quelque chose de précis sans critère décisif.

Quand tu dis : « Qui de nous deux a raison ? Pyrrhon passerait-il son chemin ? », tu déplaces la question. Il ne s’agit pas de savoir ce que Pyrrhon « penserait de nous », mais de savoir ce que nous sommes autorisés à lui attribuer sans sortir du cadre sceptique. Le pyrrhonisme n’autorise pas toutes les lectures sous prétexte qu’elles sont possibles ; il impose au contraire une discipline stricte dans ce que l’on affirme.

Quant aux deux propositions que tu rappelles :
« Une chose n’est pas plus ceci que cela »
« Les choses ne sont pas nécessairement telles qu’elles paraissent »

elles vont précisément contre l’idée d’un simple laisser-passer des pensées sans examen. Elles expriment une indécidabilité rationnelle, non une indifférence mystique. Dire qu’une chose n’est pas plus ceci que cela suppose qu’on ait envisagé des déterminations opposées et constaté qu’aucune ne l’emporte — ce qui implique comparaison, examen, mise en balance, même si cela ne débouche sur aucune conclusion dogmatique.

Enfin, invoquer l’idée que Pyrrhon « passerait son chemin » est encore une projection psychologique. Le scepticisme pyrrhonien n’est pas une attitude existentielle vague, mais une position philosophique identifiable par ce qu’elle refuse d’affirmer. C’est à ce niveau que se situe le désaccord.

En résumé :
- je ne nie pas que toute lecture engage celui qui lit ;
- je nie qu’on puisse, au nom de cette banalité, mettre sur le même plan une retenue interprétative et une projection positive.
Le scepticisme pyrrhonien commence précisément là où l’on cesse d’en rajouter.
.
- La réalité est toujours beaucoup plus riche et complexe que ce que l'on peut percevoir, se représenter, concevoir, croire ou comprendre.
- Nous ne savons pas ce que nous ne savons pas.
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- Toute expérience vécue résulte de choix. Et tout choix produit son lot d'expériences vécues.
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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 15 déc.25, 08:22

Message par ronronladouceur »

J'm'interroge a écrit : 15 déc.25, 06:58 Le point décisif n’est pas que nous ayons chacun une « perspective », ni même que toute lecture comporte une part d’interprétation — cela est trivial. Le désaccord porte sur le régime de légitimité de l’interprétation.
Le mot clé est justement 'interprétation' et il est à lui seul l'éclairage dont il faut tenir compte dans les diverses considérations.
Dire « je laisse les silences ouverts » n’est pas combler par l’imaginaire ; c’est précisément refuser de transformer ces silences en thèses. À l’inverse, faire de Pyrrhon un témoin quasi mystique, indifférent à l’examen, aux oppositions argumentatives ou au discernement, ce n’est pas suspendre le jugement : c’est affirmer quelque chose de précis sans critère décisif.
Je ne pars pas des silences, mais de la compréhension que j'ai à partir de données disponibles. Votre vision ici est elle-même spéculation, ou projection...
Quand tu dis : « Qui de nous deux a raison ? Pyrrhon passerait-il son chemin ? », tu déplaces la question. Il ne s’agit pas de savoir ce que Pyrrhon « penserait de nous », mais de savoir ce que nous sommes autorisés à lui attribuer sans sortir du cadre sceptique. Le pyrrhonisme n’autorise pas toutes les lectures sous prétexte qu’elles sont possibles ; il impose au contraire une discipline stricte dans ce que l’on affirme.
Tout ici est question de positionnement de la posture... Vous en faites une lecture après examen de ce qui 'pourrait' se passer ou se passerait dans la tête de Pyrrhon (lecture psychique), alors que je situe l'esprit de Pyrrhon dans la non-considération même de ce qui pourrait se passer. À ce compte-là, l'indifférence précède même l'examen de ce qui se passe, puisque logiquement de toute façon, il suspendrait le jugement... Cette lecture me semble en tout cas plus à même de rendre compte de son esprit... Il se situe, pour ainsi dire, dans ''l'avant-même''...
Dire qu’une chose n’est pas plus ceci que cela suppose qu’on ait envisagé des déterminations opposées et constaté qu’aucune ne l’emporte — ce qui implique comparaison, examen, mise en balance, même si cela ne débouche sur aucune conclusion dogmatique.

Pas nécessairement... Je penche donc plus pour l'indifférence devant même toute discussion... Projetez-vous et pensez simplement à comment il pourrait réagir en apprenant qu'il existe des forums de discussions...

En d'autres mots, vous lui collez une activité qui ne lui colle pas...

Mais au fond, qu'est-ce que j'en sais, quand aucune interprétation n'est décisive?

Et je trouve qu'à travers votre propre perspective, ma posture est très pyrrhonienne...

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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 15 déc.25, 14:17

Message par J'm'interroge »

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@ ronronladouceur,

Le mot « interprétation » ne suffit pas à dissoudre toutes les distinctions. Dire que toute lecture est interprétative ne signifie pas que toutes les interprétations se valent, ni qu’elles obéissent aux mêmes contraintes. Le pyrrhonisme n’abolit pas les exigences minimales de cohérence, de justification et de retenue ; il les renforce.

Tu affirmes ne pas partir des silences, mais des « données disponibles ». Or c’est précisément là que le problème surgit : rien, dans les données disponibles, n’autorise positivement l’idée d’une indifférence préalable à tout examen, ni celle d’un Pyrrhon situé dans un « avant-même » de toute considération rationnelle. Ce que tu présentes comme une compréhension plus fine de son esprit est en réalité une thèse forte sur sa posture mentale — thèse qui n’est ni attestée ni exigée par les sources.

Lorsque tu dis que je ferais une « lecture psychique », c’est une inversion complète. Je ne prétends pas savoir ce qui « se passe dans la tête de Pyrrhon ». Je m’en tiens à ce que sa posture implique logiquement : refuser l’assentiment dogmatique n’implique pas refuser l’examen ; suspendre le jugement n’implique pas une indifférence antérieure à toute prise en compte. C’est toi, au contraire, qui postules une disposition intérieure spécifique — indifférence radicale, non-considération, retrait préalable — sans critère décisif.

Dire que « l’indifférence précède même l’examen » revient à transformer l’épochè en état psychologique originaire. Or, dans le scepticisme pyrrhonien tel que nous pouvons le reconstituer prudemment, l’épochè n’est jamais décrite comme un point de départ, mais comme un effet : elle survient lorsque l’examen ne permet pas de trancher. La déplacer en amont, c’est modifier en profondeur la structure même du scepticisme, c'est en faire une approche qui n'a plus rien de philosophique.

Les analogies du type « comment réagirait Pyrrhon en découvrant les forums » n’apportent rien sur le plan philosophique. Elles ne font que projeter des scénarios imaginaires là où la question porte sur des distinctions conceptuelles précises : examen / assentiment, apparence / dogme, indécidabilité / indifférence. Le pyrrhonisme n’est pas une psychologie fictionnelle ; c’est une position identifiable par ce qu’elle autorise et ce qu’elle interdit d’affirmer.

Lorsque tu dis enfin : « qu’est-ce que j’en sais, quand aucune interprétation n’est décisive ? », tu touches malgré toi le point central. Justement : lorsqu’aucune interprétation n’est décisive, la seule posture cohérente est de ne pas en affirmer une positivement. Or tu affirmes bel et bien quelque chose : une indifférence préalable, un retrait avant l’examen, une absence d’activité discursive. Ce n’est pas une suspension, c’est une prise de position.

Que tu trouves ta posture « très pyrrhonienne » depuis ta propre perspective n’est pas un argument. Le pyrrhonisme ne se définit pas par un sentiment de parenté, mais par une rigueur négative : ne pas faire dire plus que ce qui peut être justifié. Là où tu ajoutes une figure, une attitude, un esprit déterminé, je m’arrête. Et ce n’est pas par dogmatisme, mais par fidélité à ce que le scepticisme impose précisément : savoir s’arrêter.

Ce n’est donc pas une divergence de tempérament, ni une simple différence de sensibilité. C’est une divergence sur le seuil au-delà duquel l’interprétation devient projection. Et c’est ce seuil-là tu le passes allègrement, là où je reste sobre.
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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 17 déc.25, 22:54

Message par J'm'interroge »

.
@ ronronladouceur,

Je replace ici :
J'm'interroge a écrit : 17 déc.25, 13:21 La prétendue « inactivité » que tu suggères évoque plutôt un état mental pathologique qu’une démarche philosophique.
ronronladouceur a écrit : 17 déc.25, 14:04 Pas du tout... C'est simplement un acte volontaire, celui de se refuser à l'interprétation... J'imagine pas nécessairement dans toutes les circonstances, mais peut-être plus expressément en regard des actes de pensée...

Par exemple, lors d'une dispute, vous décidez de vous taire...

Une méditant d'expérience pourrait mieux dire ce que je veux dire ici...

Chacun donc sa compréhension... Avec son pendant de peut-être vrai, de peut-être faux, etc.

Ou encore Pas plus ceci que cela...
On peut très bien, comme j'ai appris à le faire : raisonner sur des propositions conditionnelles. On peut parvenir à une certitude dans les raisonnements mais pas nécessairement sur les conclusions, les conclusions d'un raisonnement qui contient des propositions conditionnelles n'étant pas décidables en l'état. Leur vérité ou non dépend du statut de vérité des propositions dont le statut de vérité est incertain.

Mais, la suspension du jugement n'oblige pas à une absence d'interprétation. Quand on parle de suspension du jugement, en réalité, il n'est pas question de ne pas juger du tout, mais ne pas donner son assentiment lorsque ni la raison ni l'expérience ne permettent pas de trancher.
------> Plutôt qu'une suspension du jugement, l'épochè est une suspension de l'assentiment.


Chat GPT :

Oui. Et ta formulation met précisément le doigt sur la confusion centrale.

1. Certitude logique vs indécidabilité factuelle
On peut raisonner avec une parfaite rigueur sur des propositions conditionnelles. La validité du raisonnement peut être certaine, tout en laissant indécidable la vérité des conclusions, faute de statut établi pour les prémisses. La certitude porte alors sur la cohérence logique, non sur l’état du réel. Pyrrhon n’a jamais nié cette distinction.

2. L’épochè ne supprime pas l’interprétation
Suspendre le jugement ne signifie pas cesser d’interpréter, d’analyser ou de raisonner. Cela signifie refuser d’accorder un assentiment définitif là où ni la raison ni l’expérience ne permettent de trancher. L’interprétation peut exister, être explorée, comparée, testée — sans être crue.

3. Le cœur de l’épochè : l’assentiment, pas l’activité mentale
Ce que le pyrrhonien suspend, ce n’est ni la pensée, ni l’analyse, ni même le jugement au sens large, mais l’assentiment. Il ne dit pas « je ne juge jamais », mais « je n’affirme pas lorsque rien ne permet de décider ». La suspension porte sur le tenir-pour-vrai, pas sur le penser.

4. Formulation plus juste
Tu as raison : parler de « suspension du jugement » est historiquement commode mais philosophiquement imprécis.
L’épochè est bien une suspension de l’assentiment, non une paralysie intellectuelle ni une inactivité de la raison.

Dit autrement :

> Le pyrrhonien pense, examine, interprète — mais il ne croit pas.

Et c’est précisément ce point que tes interlocuteurs manquent lorsqu’ils transforment Pyrrhon en figure d’indifférence mentale ou de pure passivité contemplative.
.
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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 18 déc.25, 08:01

Message par ronronladouceur »

J'm'interroge a écrit : 17 déc.25, 22:54 .
Mais, la suspension du jugement n'oblige pas à une absence d'interprétation. Quand on parle de suspension du jugement, en réalité, il n'est pas question de ne pas juger du tout, mais ne pas donner son assentiment lorsque ni la raison ni l'expérience ne permettent pas de trancher.
------> Plutôt qu'une suspension du jugement, l'épochè est une suspension de l'assentiment.
Sous-entendu que le pyrrhonisme peut assentir... Un peu contraditoire avec l'idée de ''pas plus ceci que cela''...
1. Certitude logique vs indécidabilité factuelle
On peut raisonner avec une parfaite rigueur sur des propositions conditionnelles. La validité du raisonnement peut être certaine, tout en laissant indécidable la vérité des conclusions, faute de statut établi pour les prémisses. La certitude porte alors sur la cohérence logique, non sur l’état du réel. Pyrrhon n’a jamais nié cette distinction.
C'est très bizarre que vous vous serviez d'une conceptualisation moderne de la logique et de l’épistémologie pour dire que Pyrrhon ne pensait pas en ces termes en son temps. Dire qu'il n'a jamais nié cette distinction, est un anachronisme, et donc l'affirmer relève de l'affirmation gratuite...
2. L’épochè ne supprime pas l’interprétation
Suspendre le jugement ne signifie pas cesser d’interpréter, d’analyser ou de raisonner. Cela signifie refuser d’accorder un assentiment définitif là où ni la raison ni l’expérience ne permettent de trancher. L’interprétation peut exister, être explorée, comparée, testée — sans être crue.
Encore là, ça ne fonctionne pas avec l'esprit de l'ataraxie...
3. Le cœur de l’épochè : l’assentiment, pas l’activité mentale
Ce que le pyrrhonien suspend, ce n’est ni la pensée, ni l’analyse, ni même le jugement au sens large, mais l’assentiment. Il ne dit pas « je ne juge jamais », mais « je n’affirme pas lorsque rien ne permet de décider ». La suspension porte sur le tenir-pour-vrai, pas sur le penser.
Toiut cela est suspendu... Pensée incluse...

Encore là, le pyrrhonisme ne décide pas... Sauf à suspendre les tergiversations, pensées...
4. Formulation plus juste
Tu as raison : parler de « suspension du jugement » est historiquement commode mais philosophiquement imprécis.
L’épochè est bien une suspension de l’assentiment, non une paralysie intellectuelle ni une inactivité de la raison.
Une fois que vous êtes arrivé à l'assentiment (Pyrrhon en parlerait??) ou à la suspension (?), cela signifie que vous ne prêtez plus attention aux éléments qui ont permis d'y parvenir. Sinon c'est l'ataraxie qui en prend pour son rhume.
Le pyrrhonien pense, examine, interprète — mais il ne croit pas.
Je ne vois pas le rapport, quoique ça prend un minimum de croyance pour au moins considérer une certain assentiment... Encore qu'il faudrait nuancer que vous êtes dans un exercice (?) précédent la suspension ou l'assentiment. Je ne vois pas dans quel intérêt poursuivre la pensée puisque cela risquerait de troubler l'ataraxie en tant que visée. Donc tout dépendrait du moment où l'on situe l'événement...
Et c’est précisément ce point que tes interlocuteurs manquent lorsqu’ils transforment Pyrrhon en figure d’indifférence mentale ou de pure passivité contemplative.
Il n'y a rien de négatif dans la posture, mais bien plutôt une fidélité à la visée d'ataraxie. La suspension du jugement permettant l'ataraxie, l'assentiment agissant plutôt comme conclusion sans lien ni visée quant à l'ataraxie...

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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 18 déc.25, 09:05

Message par J'm'interroge »

.
@ ronronladouceur,


1. Sur « suspension de l’assentiment » et le ouk mallon :

ronronladouceur :
« Sous-entendu que le pyrrhonisme peut assentir… Un peu contradictoire avec l’idée de “pas plus ceci que cela”. »

Il y a ici une confusion fondamentale :

Dire que l’épochè est une suspension de l’assentiment n’implique nullement que le pyrrhonien assent au sens dogmatique. Cela signifie précisément qu’il refuse l’assentiment là où le ouk mallon s’impose.

Le ouk mallon (« pas plus ceci que cela ») n’est pas une thèse, mais un constat d’équilibre entre raisons opposées. Il ne supprime pas la distinction entre apparaître, examiner et assentir ; il fonde au contraire la suspension de l’assentiment. Confondre suspension de l’assentiment et impossibilité logique de tout assentiment revient à transformer le pyrrhonisme en mutisme conceptuel — ce qu’il n’a jamais été.


2. Sur l’« anachronisme » logique :

ronronladouceur :
« Utiliser une conceptualisation moderne de la logique… dire que Pyrrhon n’a jamais nié cette distinction est un anachronisme. »

C’est une objection mal dirigée.

Je ne prétends pas que Pyrrhon formulait explicitement la distinction moderne entre validité logique et vérité factuelle. Je dis qu’il n’a jamais nié cette distinction, ce qui est tout autre chose.

Sextus Empiricus montre abondamment que le sceptique :
- reconnaît la cohérence interne d’arguments,
- tout en suspendant l’assentiment quant quand il y a égalité de force des thèses opposées.

Autrement dit, le pyrrhonien peut constater qu’un raisonnement est bien formé sans conclure à la vérité de sa conclusion, quand la conclusion d'un autre raisonnement aussi bien formé et cohérent concluent le contraire. Nommer cela avec des outils conceptuels modernes n’est pas un anachronisme fautif, mais une explicitation. Refuser toute conceptualisation sous prétexte d’anachronisme revient à interdire toute philosophie de l’Antiquité.


3. Sur interprétation et ataraxie :

ronronladouceur :
« Ça ne fonctionne pas avec l’esprit de l’ataraxie… »

C’est précisément l’inverse :

Ce qui trouble l’ataraxie, ce n’est pas l’examen ou l’interprétation, mais l’attachement dogmatique aux conclusions.

Sextus est explicite : l’ataraxie survient après l’épochè, comme un effet contingent, non comme une posture préalable exigeant l’extinction de l’analyse. Faire de l’ataraxie une fragile bulle psychologique qui ne supporterait aucun examen, c’est la transformer en état affectif précaire, pathologique, non en faire une disposition philosophique stable.


4. Sur la prétendue suspension de toute pensée :

ronronladouceur :
« Tout cela est suspendu… pensée incluse… »

Aucune source pyrrhonienne sérieuse ne soutient cela.

Suspendre la pensée elle-même reviendrait à :
- rendre impossible l’argumentation sceptique,
- rendre incompréhensible l’œuvre de Sextus Empiricus,
- rendre absurde la transmission même du pyrrhonisme.

La suspension porte sur l’assentiment dogmatique, pas sur l’activité cognitive. Sinon, il faudrait admettre que Sextus Empiricus écrit sans penser, ce qui est contradictoire. Tu confonds ici refus de conclure et abolition de la rationalité.


5. Sur l’attention aux éléments après l’épochè :

ronronladouceur :
« Une fois arrivé à la suspension, on ne prête plus attention aux éléments… »

Encore une fois, c’est une reconstruction psychologisante sans appui textuel.

Le pyrrhonien ne « jette pas » les raisons ayant conduit à l’épochè ; il ne leur accorde pas un statut décisif. Il peut y revenir, les reconsidérer, les réexaminer — sans que cela détruise l’ataraxie, précisément parce qu’il n’y est pas attaché dogmatiquement.

L’ataraxie n’exige pas l’amnésie.


6. Sur « penser implique croire » :

ronronladouceur :
« Ça prend un minimum de croyance pour considérer un assentiment… »

C’est faux.

Penser n’implique pas croire ; considérer une hypothèse n’est pas y croire. Toute la méthode sceptique repose sur cette distinction. Sans elle, aucune mise en balance des arguments ne serait possible.

Dire que penser trouble nécessairement l’ataraxie revient à faire du pyrrhonisme une technique d’évitement mental, non une philosophie.


7. Sur l’« indifférence » et la visée d’ataraxie :

ronronladouceur :
« Il n’y a rien de négatif dans la posture… fidélité à l’ataraxie. »

Le problème n’est pas qu’elle soit « négative », mais qu’elle ne corresponde pas au pyrrhonisme.

Tu transformes une démarche philosophique en une posture d’indifférence préalable, où tout serait déjà suspendu avant même examen. Or, chez Sextus, l’épochè est le résultat, non le point de départ.

Faire de l’ataraxie la norme qui interdit l’examen, c’est inverser l’ordre pyrrhonien et substituer à la discipline sceptique une forme de quiétisme spéculatif et dogmatique.


Conclusion :

Ta lecture repose sur une thèse centrale non justifiée :

>>>>> « L’épochè exigerait la suspension de toute activité cognitive afin de préserver l’ataraxie. »

Cette thèse ne se trouve ni chez Pyrrhon (dont nous savons peu), ni chez Sextus (que nous avons). Elle relève d’une projection pseudo spirituelle, non d’une reconstruction philosophique.

Le désaccord n’est donc pas de nuance, mais de structure :
- tu identifies le pyrrhonisme à une indifférence mentale ;
- je le tiens pour une discipline rationnelle de non-assentiment.

Et ces deux lectures sont effectivement incompatibles.
.
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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 18 déc.25, 11:46

Message par ronronladouceur »

J'm'interroge a écrit : 18 déc.25, 09:05 Et ces deux lectures sont effectivement incompatibles.
Je crois avoir compris un truc... Un peu sur le tard, mais bon...

C'est que le pyrrhonisme n'est pas une spiritualité... Et je ne vois pas où il en parlerait...

J'aurai donc mal été aiguillé...

J'm'interroge

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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 18 déc.25, 12:18

Message par J'm'interroge »

ronronladouceur a écrit : 18 déc.25, 11:46 Je crois avoir compris un truc... Un peu sur le tard, mais bon...

C'est que le pyrrhonisme n'est pas une spiritualité... Et je ne vois pas où il en parlerait...

J'aurai donc mal été aiguillé...
C'est bien une spiritualité. C'est juste que c'est aussi une philosophie. Mais certes, je comprends que cette spiritualité ne corresponde pas à ton idée.

En effet, elle ne ne permet pas d'assentir à quelque absolu que ce soit.

Il s'agit d'une lucidité ouverte.
.
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Re: La spiritualité selon Pyrrhon

Ecrit le 18 déc.25, 13:38

Message par ronronladouceur »

J'm'interroge a écrit : 18 déc.25, 12:18 C'est bien une spiritualité.
Rien dans cet échange ne le laissait présager, au contraire... Sauf moi, mais dans un certain sens, spéculé, je le reconnais...
C'est juste que c'est aussi une philosophie. Mais certes, je comprends que cette spiritualité ne corresponde pas à ton idée.

En effet, elle ne ne permet pas d'assentir à quelque absolu que ce soit.

Il s'agit d'une lucidité ouverte.
Lucidité ouverte et absolue, il va sans dire, puisque quand tu vois clair, tu vois pas qu'à moitié, et que lorsque les termes mêmes suffisent à fonder en vérité le discours à venir, honni soit qui mal y pensera... smiling-face-with-halo:

Quand j'ai lié ici la spiritualité à Pyrrhon, c'était dans le cadre des spiritualités orientales, certes à certains égards... Mais c'était mal interprété Pyrrhon, m'avait-on fait remarquer (mais vu le titre du topic, non explicité - d'ailleurs on se dmande toujours...)

Quoi qu'il en soit, on n'a pas vu grand-chose sous votre plume laisser supposer quelque spiritualité que ce soit dans la philosophie de Pyrrhon, sauf dans le titre du topic qui souffre d'un flagrant manque à gagner quant à son sens...

Quant à lier Pyrrhon à une quelque spiritualité, tous ne sont pas d'accord, mais l'on peut faire des rapprochements...

Je vous retrouve sur un terrain glissant :

- Je ne prétends à aucune vérité sur Pyrrhon. Je soutiens simplement qu’il existe une différence essentielle entre :
- tirer des conséquences minimales et négatives de ce que les sources autorisent (ce que Pyrrhon ne fait pas, ce qu’il refuse, ce sur quoi il s’abstient),
- et projeter positivement une posture spirituelle déterminée là où les textes sont silencieux ou ambigus.
[Il est à prévoir ici une projection.]

- Nos perspectives ne sont donc pas simplement différentes : elles sont incompatibles. Tu cherches à retrouver dans Pyrrhon une figure spirituelle qui te ressemble. Je m’efforce, au contraire, de ne pas lui prêter une posture qu’aucun texte n’autorise clairement. Là où tu combles les silences par l’imaginaire, je préfère les laisser ouverts. Et c’est précisément ce refus d’en rajouter qui me paraît, ici, le seul geste intellectuellement cohérent.
[Le refus d'en rajouter. C'est noté.]

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