MON FILS A SUBI UN LAVAGE DE CERVEAU
Myriam Cherif, mère de Peter,
un Français détenu en Irak;
propos recueillis par Christophe Dubois *
Pour la première fois, la mère d'un jeune Français détenu en Irak raconte l'endoctrinement islamiste subi par son fils. Myriam Cherif, d'origine tunisienne, dénonce la manipulation des jeunes par des « gourous » intégristes. Son fils unique, Peter, 22 ans, capturé le 2 décembre 2004 à Falloudja, est détenu avec deux autres Français dans le centre de détention militaire américain de Camp Bucca, au sud de l'Irak. Par ailleurs, trois Français sont morts en Irak, dans les rangs des combattants islamistes. D'autres sont portés disparus, comme Redouane E. («Le Parisien» et «Aujourd'hui en France» du 9 février).
Votre fils est parti faire des études en Syrie, puis s'est retrouvé en Irak. Comment expliquez-vous cela?
Ils se sont retrouvés piégés dans un pays étranger. Dans un premier temps, ils sont conditionnés en France par des gourous qui les prennent sous leur coupe, puis ils sont envoyés en Syrie auprès de soi-disant théologiens, très bien formés, qui disposent d'outils modernes comme Internet pour faire leur travail de prosélytisme. C'est le fonctionnement caractéristique d'une secte.
C'est-à-dire...
Comment expliquer que des jeunes nés à Paris puissent attacher une ceinture d'explosifs à leur taille ou partir la kalachnikov à la main ? La plupart d'entre eux ne parlent même pas arabe ou ne sont jamais allés dans un pays du Moyen-Orient. On commence même à voir des filles suivre ce genre de parcours. Il y a tout un travail d'endoctrinement exercé sur eux. C'est une méthode sectaire qui les entraîne vers une mort quasi certaine. Tout se passe à l'insu des parents.
Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que votre fils était détenu en Irak ?
C'est comme une météorite qui vous tombe sur la tête. Ces « fous de Dieu » qui jouent avec la vie des jeunes constituent un réel danger pour la République française. Personnellement, j'ai appris que mon fils, qui avait rejoint d'autres étudiants en Syrie, était à Falloudja il y a seulement quelques jours alors qu'il est détenu depuis fin décembre. Il faut qu'il y ait une prise de conscience du danger islamiste par les autorités françaises. J'ai d'ailleurs écrit en ce sens à Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale.
Votre fils ne vous a jamais parlé d'un éventuel passage en Irak ?
A Paris, il était à la recherche d'un emploi et devait entamer une formation informatique lors de son retour. Il avait un projet. Il était aussi à la recherche de sa spiritualité. Le piège, c'est de tomber sous la coupe de gourous. Ils leur interdisent de parler à d'autres religieux, car ils disent enseigner le « bon islam ». Peu à peu, ils sont coupés du monde. Ils subissent alors un vrai lavage de cerveau. Mon fils se levait tous les jours à 4 heures du matin pour faire la prière. Il ne dormait quasiment plus. Il n'avait plus le droit de regarder la télévision. Peter aimait les jeux vidéo, les dessins animés, la musique... On lui expliquait que toutes ces choses matérielles étaient néfastes. S'il se plaignait, on lui disait que « le diable » l'influençait et il devait aller faire des ablutions et des prières supplémentaires.
Puis c'est l'engrenage...
En effet. S'ils sont réceptifs, on les félicite. Plus ils suivent les enseignements de ces fanatiques, plus ils sont félicités. Ces groupes islamistes les obligent à marcher par trois dans la rue. Ils deviennent, selon leurs critères, de « bons musulmans ». Mon fils était de plus en plus renfermé sur lui-même. Il ne quittait plus sa chambre où il étudiait le Coran sans arrêt. Il faisait la prière tout le temps. Il vérifiait scrupuleusement que tout ce qu'il mangeait était hallal. Même bien manger devient un péché... Peter était fier d'avoir pu acheter une voiture avec ses économies. Au fil de son endoctrinement, il ne voulait plus la conduire car il disait qu'il y avait trop de femmes nues sur les panneaux publicitaires... Ils n'ont plus la possibilité de réagir. Ils deviennent des agneaux que l'on envoie en sacrifice !
Selon vous, que s'est-il passé en Syrie ?
On leur explique qu'il faut aller à Damas car il y a les meilleures écoles pour apprendre le Coran. Au début, cela a un goût d'aventure. Mon fils est parti seul en mai 2004. Il n'était pas inquiet, car il allait rejoindre d'autres jeunes du XIXème arrondissement. Au début, j'étais rassurée car j'avais des nouvelles. Il me parlait par webcam depuis un cybercafé plusieurs fois par semaine. Il me disait que c'était un pays très beau, calme, et que les gens le respectaient au sein de la communauté. Il racontait également qu'il y avait des élèves venant de partout, du Canada, de Belgique... Le 20 juillet, il m'a dit : « A bientôt. Je vais rencontrer un imam réputé. Ne t'inquiète pas si je ne te contacte pas pendant quelques jours. » Il devait rentrer en septembre. Depuis, je n'ai plus de nouvelles. Lorsqu'on fait le numéro de son portable, c'est une autre personne qui répond. En Syrie, il y a des rabatteurs qui les entraînent à franchir un cap supplémentaire et à partir en Irak.
N'y a-t-il pas des signaux d'alerte ?
Bien sûr, on voit un changement. J'ai rencontré d'autres familles. Le mécanisme est toujours le même. Ce sont des jeunes fragilisés, qui ont souvent des difficultés d'intégration. Parfois, ils tombent dans la petite délinquance. Au début, leur engagement religieux apporte des changements bénéfiques. Ils ne fument plus de shit, ne boivent plus de bière et respectent davantage leurs parents. Ces gamins retrouvent une sorte de sérénité. Qui ne serait pas rassuré par cela ? Donc, tout le monde laisse faire. Dans un premier temps, les parents qui voient partir leurs enfants pour faire des études religieuses à l'étranger ne sont pas inquiets. Puis ces jeunes tombent entre les mains de salafistes qui prônent le jihad.
Comment vivez-vous cette situation ?
C'est un cauchemar. Je souffre de n'avoir aucune nouvelle, de ne pas entendre sa voix, de ne pas recevoir de lettre... On ne parle pas suffisamment des familles. Certains de ces gamins sont morts, d'autres sont portés disparus. Il faut que cela s'arrête et porter un grand coup contre ces pseudo-chefs religieux. Ces jeunes ne sont pas des jihadistes. Ils ne sont pas partis d'eux-mêmes. Ils ont fait l'objet d'une véritable manipulation. Il faut que les parents soient vigilants. Aujourd'hui, je tourne en rond. Nous n'avons pas de soutien psychologique. Ce sont des familles entières qui sont détruites.
* Cet entretien a été publié dans l’édition du Parisien en date du mardi 15 février 2005.
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