Non, mais les cathares s'en prennent à un principe du mal.
Ensuite j'ai pas compris, tu veux dire que quand on se tourne vers Dieu, c'est en fait vers satan qu'on se tourne ?
Absolument. Mais il faut comprendre le mot Satân ici, dans le sens de l'AT. Comme c'est une notion très délicate à comprendre, je vais revenir vers des éléments de base de la tradition biblique.
1- Chapitre 1 de la genèse
Il s'agit de la création conceptuelle, qui définit tout le plan de la création. Tout y est vu par un Dieu, Elohim, comme le Bien. Il n'y a que le Bien, et Dieu ne voit pas le mal. Il n'y a donc aucun mal dans cette création. Désormais j'appellerais Elohim Dieu.
2- chapitre 2 de la genèse
C'est la création effective. Cette création est réalisée par IHWH-Elohim. Elohim est ici la puissance réalisatrice, et IHWH, l'agent actif. On peut dire qu'IHWH-Elohim est le principe divin éternel. Ce principe est Lumière à travers IHWH et Ténèbre à travers Elohim, sans que cela ne soit en rien péjoratif. Quand dans le chapitre 1, Dieu sépare la lumière de la ténèbre, il voit cela comme seulement le Bien. Ainsi, dans le chapitre 2, Elohim porte la lumière IHWH comme "une mère porte son enfant". Elohim est alors le "porteur de lumière" (Lucifer en latin) et il contient toutes les possibilités de l'existence qu'IHWH va devoir éclairer, en tant que germe actif de l'Etre humain. De même, IHWH est le principe de l'individu, là où Elohim est le principe de l'universel. Mais comme on le voit, ils sont liés l'un à l'autre.
3- chapitre 3 de la genèse
Adam, la conscience qui manifeste Dieu dans la création, représente le moyen de contrôle de cette création et de direction. C'est la volonté d'Adam, et sa sensibilité, qui rythment la manifestation de Dieu. Ainsi, on a Dieu-Elohim comme architecte, IHWH comme agent actif (ouvrier) et Adam comme contremaître. Ces trois rôles sont très importants. Mais dans le choix d'une méthode de connaissance, Adam cède à la dualité séparative. Le principe de cette dualité de séparation des contraires est le Serpent. Et cette dualité, lorsqu'elle s'applique à la notion de Bien du chapitre 1, l'oppose à un Mal "synthétique et supposé". Cette façon de comprendre l'existence va conditionner toute la création .
Avec ce choix, la conscience humaine sépare IHWH et Elohim, Elohim étant dès lors associé au Mal, et IHWH associé au Bien. C'est la chute d'Elohim, relégué au rang d'adversaire et de Satân. Le porteur de Lumière, l'Ange de Dieu (qui est Dieu lui-même) devient le principe bafoué, diminué, incompris, insulté. L'homme Adam se détourne de Dieu et ne voit que ce que la lumière lui fait percevoir, sans accepter cette part d'inconnu et de changement que représente la possibilité infinie de Dieu. Par ailleurs, l'homme voit l'action seule comme le bien, mais redoute la puissance qui est passive.
La situation est surréaliste : Dieu Tout-puissant concepteur et créateur de tout, se voit déchu par sa créature à peine créée, dans un rôle de principe d'un Mal qu'il n'a jamais conçu comme tel et que sa création ne contient pas, bien qu'une logique la rende possible.
Dieu dit à Adam : "OK Adam ! Mais il y aura des conséquences". Il prononce alors les premières malédictions, puisqu'il est devenu malgré lui principe du mal. Au fond, c'est le choix d'Adam. Cependant, ce Satân est totalement Dieu. Il est toujours Elohim, et sa toute-puissance est devenue la force du Diable. C'est pourquoi, il conserve un aspect très attractif et séduisant, car dans la logique tendue du choix d'Adam, l'action apporte difficilement le Bien seul. Souvent le mal s'y combine et la loi de cause à effet s'amplifie constamment. Le bien et le mal se combinent, car IHWH et Elohim restent cependant la source de toute manifestation, bien que désormais séparés par Adam.
Dieu dit encore à Adam : "Tout dans ma création est pur et objet de délices. Mais puisque tu y vois le mal, alors affrontes-le. Je n'ai pas créé le mal, mais la vie et la beauté, mais puisque tu me considères comme le principe obscur et maléfique, je vais jouer ton jeu". Et Dieu joue avec Adam. Adam chute, il se matérialise à l'excès, et s'enfonce dans le rigide. Cependant, comme sa conscience évolue, il se met à rechercher la solution au malheur qui est sa propre création. Il envisage Dieu, le recherche, le prie.
Mais comme il conçoit toujours le mal, Dieu reste pour lui un Satân. Chaque fois qu'Israêl se rapproche de Dieu, Dieu l'éprouve, et comme Israêl ne voit qu'IHWH, Elohim reste rejeté. C'est là la malédiction d'Israêl, expliquée par les prophètes, incontournable et qui provoque les lamentations.
En ce qui concerne le Christ, Jésus ne considère aucun principe du mal. Pour lui, son adversaire est seulement le Serpent. Son objectif de sauveur est d'inverser le choix logique qui a contaminé la conscience d'Adam. En discernant les contraires sous un mode de complémentarité, on peut alors les connaître et les fusionner. Pour Jésus, il n'y a ni bien ni mal sous forme séparée, mais seulement le Bien. Toutefois, son combat réclame un nouvel adversaire à battre qui est ce serpent, le diable au sens du NT. Pour Jésus, Elohim n'est nullement le Satân d'IHWH, mais le Dieu Père. C'est pourquoi, le christianisme consiste à s'éloigner un peu d'IHWH, de façon à joindre exactement le milieu entre IHWH et Elohim, puis de provoquer l'arrêt de la conscience par la crucifixion, et enfin de renouveler la logique par un verbe correcteur. Avec le christianisme, il n'y a plus aucun principe du mal, sauf ce principe de dualité qui n'est qu'une façon logique de connaître et de désirer.
Se tourner vers le Dieu du christianisme qui est Elohim, cela équivaut à se tourner vers le satân de l'AT en lui redonnant la considération qui est la sienne de toute éternité, et cette démarche s'appelle le repentir. Quant au Sâtan-Serpent du NT, il va disparaître dans son action séparative, afin de permettre à la logique de définir un discernement des contraires qui puisse mieux réussir leur fusion. C'est pourquoi, il y a opposition entre le mode chrétien et le mode cathare, car l'accomplissement du christianisme suppose de se débarrasser de toute idée de principe du mal. Seul Adam a généré le Mal et donc seul l'homme peut choisir de s'en défaire. L'homme n'a jamais été la victime d'un principe mauvais, mais Dieu a été la victime d'une erreur humaine de conscience. Et dans cette erreur de la conscience humaine, le plus mauvais rôle n'est pas celui de Dieu. Eprouver l'homme en le mettant face à la logique de son choix, par une savoureuse altérité et des épreuves subtiles, n'est pas le plus mauvais rôle.
Se tourner vers Dieu sans abandonner l'idée du mal, c'est recevoir les épreuves et les faire durer, et c'est persécuter le juste que l'on pourrait être sans cela. Se tourner vers Dieu, débarrassé de toute idée du mal, c'est commencer un chemin de conscience vers la résurrection et supprimer un grand nombre d'épreuves.


