"Le mal est partout où les hommes de bonne volonté ont échoué."
https://youtu.be/-vJcn-JzMbU?feature=shared
Ajouterai-je que le haschisch, comme toutes les joies solitaires, rend l'individu inutile aux hommes et la société superflue pour l'individu, le poussant à s'admirer sans cesse lui-même et le précipitant jour à jour vers le gouffre lumineux où il admire sa face de Narcisse ?
Si encore, au prix de sa dignité, de son honnêteté et de son libre arbitre, l'homme pouvait tirer du haschisch de grands bénéfices spirituels, en faire une espèce de machine à penser, un instrument fécond ? C'est une question que j'ai souvent entendu poser, et j'y réponds. D'abord, comme je l'ai longuement expliqué, le haschisch ne révèle à l'individu rien que l'individu lui-même. Il est vrai que cet individu est pour ainsi dire cubé et poussé à l'extrême, et comme il est également certain que la mémoire des impressions survit à
l'orgie, l'espérance de ces utilitaires ne paraît pas au premier aspect tout à fait dénuée de
raison. Mais je les prierai d'observer que les pensées, dont ils comptent tirer un si grand
parti, ne sont pas réellement aussi belles qu'elles le paraissent sous leur travestissement momentané et recouvertes d'oripeaux magiques. Elles tiennent de la terre plutôt que du ciel, et doivent une grande partie de leur beauté à l'agitation nerveuse, à l'avidité avec laquelle l'esprit se jette sur elles. Ensuite, cette espérance est un cercle vicieux: admettons un instant que le haschisch donne, ou du moins augmente le génie, ils oublient qu'il est de la nature du haschisch de diminuer la volonté, et qu'ainsi il accorde d'un côté ce qu'il retire de l'autre, c'est-à-dire l'imagination sans la faculté d'en profiter. Enfin il faut songer, en supposant un homme assez adroit et assez vigoureux pour se soustraire à cette alternative, à un autre danger, fatal, terrible, qui est celui de toutes les accoutumances. Toutes se transforment bientôt en nécessités. Celui qui aura recours à un poison pour penser ne
pourra bientôt plus penser sans poison. se figure-t-on le sort affreux d'un homme dont
l'imagination paralysée ne saurait plus fonctionner sans le secours du haschisch ou de l'opium ?
Dans les études philosophiques, l'esprit humain, imitant la marche des astres, doit
suivre une courbe qui le ramène à son point de départ. Conclure, c'est fermer un cercle. Au
commencement j'ai parlé de cet état merveilleux, où l'esprit de l'homme se trouvait
quelquefois jeté comme par une grâce spéciale ; j'ai dit qu'aspirant sans cesse à réchauffer ses espérances et à s'élever vers l'infini, il montrait, dans tous les pays et dans tous les temps, un goût frénétique pour toutes les substances, mêmes dangereuses, qui, en exaltant sa personnalité, pouvaient susciter un instant à ses yeux ce paradis d'occasion, objet de tous ses désirs, et enfin que cet esprit hasardeux, poussant, sans le savoir, vers l'enfer, témoignait ainsi de sa grandeur originelle. Mais l'homme n'est pas abandonné, si privé de moyens honnêtes pour gagner le ciel, qu'il soit obligé d'invoquer la pharmacie et la sorcellerie ; il n'a pas besoin de vendre son âme pour payer les caresses enivrantes et l'amitié des houris. Qu'est-ce-qu'un paradis que l'on achète au prix de son salut éternel ?
Charles Baudelaire - Les paradis artificiels
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Ecrit le 15 août25, 02:52-
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