J'aimerais bien que vous définissiez ce que vous entendez par "déposséder ce réel empirique de sa réalité". Je vous ai exprimé le fond de ma pensée à ce sujet: qu'il ait en soi ou non sa raison d'être, le réel empirique est réel; il n'y a pas de degré de réalité, on existe ou on n'existe pas. La question n'est pas celle de la réalité du monde empirique, mais de sa contingence ou de sa nécessité. Si vous vous voulez éviter de le dire contingent, c'est-à-dire forcément dépendant d'un être nécessaire, vous devez le dire nécessaire; ou que, à ses fondements, que vous confondez avec ses débuts, l'Univers échapperait à ce genre de logique du possible et du nécessaire. Mais je reviendrai sur ces deux derniers points.
Quelle consistance donnez-vous à cette expression: "n'exister qu'à moitié"? (ce qui revient à ma première question) Ce n'est pas identifier au néant l'Univers que de le dire réel en dépendance de l'Être suprême; ce qui est, est; ce qui n'est pas, n'est pas. C'est peut-être mal comprendre l'expression: "Dieu a tiré l'Univers du néant." "Créer", pour nous les hommes, c'est toujours assembler à partir d'une matière première. Mais Dieu, dans la création, n'assemble pas l'Univers à partir d'une matière première appelée néant; la création, c'est que Dieu donne d'être à ce qui sans lui ne serait pas.
Et il est clair, en-dehors de toute considération sur les débuts de l'Univers, que sans Dieu rien dans l'Univers ne serait; car nous observons des relations de dépendance dans l'Univers, tel être n'existerait pas sans tel autre; mais s'il n'y avait que de tels êtres, alors il n'existerait rien. Il faut qu'un être nécessaire par soi existe. Et l'on montre qu'un tel être est transcendant, acte pur, parfait, bon, etc.
Mais finalement ce que vous attaquez n'est pas la preuve mais la valeur réelle des principes logiques sur lesquels elle s'appuie. Je me répète peut-être inutilement. La raison pour laquelle je me répète tout de même, c'est que ce genre de chose est de soi évident et lorsqu'il est bien compris, l'intelligence doit l'accepter sous peine de se nier elle-même.
Ici vous confondez être et essence. Nous ne pouvons rien savoir ni déduire positivement à propos de ce que sont d'autres choses que notre monde empirique. Notez bien: à propos de ce que ces choses sont. Lorsqu'on parle de ce qu'une chose est, on parle de son essence, ou sa nature, c'est la même chose ou presque.Florent51 a écrit :L'être que notre intelligence atteint c'est jusqu'à preuve du contraire celui de notre univers actuel : rien ne dit que cette intelligence atteigne le réel de tous les mondes possibles (qui, s'ils existent, ne sont pas moins réels mais construits différemment) et rien ne dit que cette intelligence qui repère des régularités dans notre monde et en induit des lois (comme le principe de causalité) s'applique à un monde (en l'occurence le nôtre à ses débuts) où ces régularités ne se trouvent pas.
Néanmoins, il y a quelque chose qui n'appartient pas à l'essence des êtres qui nous entoure mais qui les transcende tous: l'existence. Et l'existence, l'être plutôt, est la même chose pour tout ce qui est: c'est le fait d'avoir une réalité. Vous le dites vous-mêmes de tous les mondes possibles: "s'ils existent, ils ne sont pas moins réels"; en affirmant leur réalité, c'est de leur être que vous parlez.
La raison atteint l'Universel en ceci, donc, du moins: l'être. Vous ne m'avez pas fait de difficulté au sujet du principe de non-contradiction; mais vous parlez du principe de causalité comme une loi des essences particulières qui forment notre monde empirique et non comme une loi de l'être, donc une loi universelle. C'est une erreur assez grossière. Le principe de causalité, en effet, ne concerne pas seulement le comportement physique de certaines choses, mais bien, en général, les relations de dépendance sous le rapport de l'être; il se présente ainsi à notre intelligence à partir du réel empirique; et on peut en toute bonne foi dire qu'il s'applique à toute réalité puisqu'il se présente comme une loi de l'être et que l'être est un transcendantal.
La causalité va bien plus loin que ce constat: ceci est arrivé, puis ceci est arrivé; mais bien que B est fonction de A, que l'un est conditionné à être par l'autre. Si vraiment dans l'Univers des choses se conditionnent les unes les autres à être, il faut dire que c'est parce qu'une chose déterminée est soit déterminée par soi, soi par une autre; que pour une détermination, il faut un déterminant, soit en soi, soit en un autre. D'où la formulation classique: ce qui n'existe pas par soi existe par un autre.
Si on voulait se limiter à dire: nous constatons que des choses se conditionnent les unes les autres à être, et ne pas en déduire que c'est en vertu d'une loi voulant que ce qui est déterminé à être l'est soit par soi soit par un autre, ce serait dire que nous ne comprenons strictement rien à rien; que nous n'avons pas d'intelligence, mais que des caméras et des tableaux statistiques; que finalement, le fait que des choses sont déterminées par d'autres à être, cela n'aurait aucune intelligibilité; que tout serait absolument obscur. Si nous ne saisissons pas, à partir du réel, ses lois les plus fondamentales, celles de l'être, alors nous ne savons rien; l'information, si elle existe, nous traverse sans qu'il y ait de récepteur.
La question de l’antériorité logique est importante parce que si justement vous ne faites pas de différence entre antériorité logique et temporelle, alors vous n’avez pas la même signification de « causalité » que moi. Vous admettrez d’emblée que antériorité temporelle n’implique pas antériorité logique; autrement, il faudrait que dire que parce que la nuit précède forcément le jour, alors elle est sa cause. Antériorité logique n’implique pas non plus forcément antériorité temporelle. Encore une fois, qu’est-ce qui vient avant : une masse ou son champ gravitationnel? Qu’est-ce qui vient avant : le mouvement de la main ou celui du marteau? Ni l’un ni l’autre. Quand même bien il y aurait un décalage infinitésimal lié à des constantes physiques, ce qu’on entend par antériorité logique est le rapport de dépendance de l’un à l’autre, indépendamment de toute considération sur le temps; ce qui n’a donc rien à voir avec antériorité temporelle.
Si avant le temps de Planck, il y avait antériorité du champ sur la masse, ce serait dire que la masse existerait en dépendance du champ. Qu’en sais-je? Pas plus que vous. Mais la définition d’antériorité logique ne change pas pour autant; par conséquent, puisqu’elle est fondamentalement la même, celle de causalité. Ce qu’il y a avant le temps de Planck peut très certainement défier nos représentations du monde, notre imagination, nos concepts physiques. Mais il ne peut pas défier les lois de l’être, et c’est tout différent. Ce serait dire que parce qu’il serait inconcevable, il serait inintelligible ou absurde. Et là vous franchissez un mur que je me refuse à passer, probablement parce que je suis conscient qu’il existe et pas vous.
Petite précision encore : quand je dis qu’aucun être ne peut être cause de soi, je le dis absolument et sans exception aucune. Dieu n’y échappe pas. Dieu existe par soi et non par un autre, par conséquent il est incausé, ce qui est différent de causé par soi.
Autre précision : vous dites que je me figure le Big Bang comme un évènement se déroulant dans le temps et non comme le moment où le temps a commencé d’exister. En vraie, c’est la vraie conception du Big Bang : il se déroule effectivement dans un temps qui a déjà commencé à exister, et se déploie dans un espace qui a déjà commencé à exister. Avant le « mur de Planck », la théorie du Big Bang ne vaut plus; on ne sait rien de ce avant, ni s’il est vraiment possible de parler d’un « début du temps. »
Une chose est sûre, le temps n’a pas commencé à un moment. Un moment, c’est, justement, un point dans le temps… Je me demande bien ce qu’il nous reste à savoir de ce début : il faudrait pouvoir le contourner et regarder derrière pour le définir : hélas, par définition, ce « avant le début » n’existe pas. Que peut-on en déduire? Que s’il y a une cause, alors elle n’est pas à chercher là.
Finalement, je retrouve bien dans votre argument ce que les athées reprochent bien souvent aux croyants : vous invoquez l’explication dans ce que la science est incapable d’expliquer. Plus la science explore le monde, moins elle trouve d’explication suprême, d’ « origine »; alors on place l’origine, qu’on définit comme un inintelligible, c’est fort pratique, dans ce petit bout de mystère qui constituerait l’avant-temps de Planck.
Dieu, au contraire, n’est pas celui qui ouvre la scène; il est celui qui détermine actuellement l’Univers à exister. C’est une explication plus profonde et qui n’écarte pas le mystère de l’avant-temps de Planck, ni aucun problème scientifique; mais elle ne va pas situer le problème des origines dans un mystère non résolu par la science. Elle regarde le problème à la verticale plutôt qu’à l’horizontale.
Vous dites que l'Univers, à la différence des autres ensembles, serait non conditionné, mais conditionnant. Je ne dirais pas cela. Je dirais plutôt que parce qu'il englobe toutes les conditions, il se conditionne lui-même. Vous avez tendance à voir l'Univers comme une entité transcendante dominant ses éléments; mais encore une fois, l'ensemble est toujours postérieur logiquement et défini par ses éléments, peu importe ce qu'ils sont. L'Univers n'établit pas les lois qui le gouvernent; il a ces lois, il les contient; mais, en tant qu'ensemble, un ensemble ne fait pas autre chose que contenir, rassembler. L'Univers en tant qu'ensemble rassemble TOUT, il contient TOUT, mais voilà la limite de sa définition. Avec vous j'ai l'impression de sortir du concept d'ensemble pour passer à celui d'un genre de panthéisme bergsonien ou je ne sais quoi.
Vous me posez une question sur la divinité du Christ: vous m'obligez à être en retard pour le souper! Et ma mère qui fait des pommes au lard... Mais soit!
La réponse complète serait complexe, parce qu'elle essayerait de traduire l'expérience. Le seul point de vue abstrait me semble un peu sec, mais c'est le seul que je puis vous transmettre.
Voici: si Dieu existe, qu'il est l'être infiniment parfait, alors il n'a rien à gagner de créer autre chose que lui-même. Comme il l'a manifestement fait tout de même, et que ce n'est pas dans son intérêt, c'est forcément dans notre intérêt; c'est donc par amour. Et comme l'explique magnifiquement Saint Thomas, le propre de l'amour, c'est de se communiquer; il convenait donc que Dieu épouse notre nature afin que nous puissions Le connaître; et connaître notre Créateur, celui qui ordonne toutes choses à sa fin y compris nous, c'est la plus grande chose qui soit. Voilà pourquoi je ne peux pas voir d'autre religion plus noble que celle qui a pour centre l'Homme-Dieu.