Ren' a écrit : ...Sauf qu'il n'est pas question dans les propos de St Augustin de "diviniser l'ignorance" mais de reconnaître nos limites humaines... La nuance est de taille, non ?
Non, elle n'est pas de taille. Le concept de limite humaine n'a me semble-t-il en réalité rien à faire là et vient seulement camoufler un procédé rhétorique.
Lorsqu'on produit une assertion, quelle qu'elle soit, fût-elle inscrite dans le champ de la métaphysique, elle se pose tout d'abord comme représentation des manifestations du Réel (dont on va examiner la fiabilité) et pas comme présentation du Réel lui-même. (Les concepts que nous employons ne sont pas le Réel, il ne font que tenter de le représenter.) Une assertion réputée représenter un fait divin n'échappe donc pas à la règle : avant d'être l'expression d'une hypothétique vérité, il s'agit d'abord et avant tout du produit d'un cerveau, sur lequel pèse naturellement
a priori une suspicion de non-fiabilité au même titre que n'importe quel autre.
Donc l'affirmation selon laquelle le divin nous échappe par définition ne peut en aucun cas constituer une réfutation d'une démonstration logique de sa fausseté (une sorte de refuge épistémologique, en quelque sorte). Dire que le divin nous échappe ne peut pas se placer
a posteriori dans la chaîne de démonstration logique, mais au contraire aux prémisses : il faut démontrer qu'il existe une entité surnaturelle qui a l'étrange pouvoir d'agir sur le statut épistémologique des représentations (autrement dit, qui aurait le pouvoir d'effectivement faire aboyer le mot "chien").
Donc répondre "On n'en sait rien, car l'esprit humain est limité au contraire de celui de Dieu" n'est pas un argument valable à opposer à "Dieu n'existe pas", tout comme un peintre représentant une licorne ne peut pas prétendre que les licornes existent au prétexte que sa technique picturale est limitée.
C'est là une erreur fondamentale de croire que la proposition de Saint Augustin et consorts a une validité épistémologique. Il s'agit plutôt d'une forme de totalitarisme intellectuel, interdisant aux gens de penser par eux-mêmes et de questionner les dogmes, qui prend l'apparence d'une philosophie ouverte et éclairée. C'est bien ce que dénonçait
Voyageur et son parallèle avec
1984 me semble tout à fait pertinent. Pour reprendre la logique de Saint Augustin et lui donner une forme digne de l'Angsoc, je dirai : « Le dogme, c'est la liberté de penser ».
Conclusion : ce n'est pas que
Voyageur et
Ren' divergent quant au champ des concepts impliqués dans ce fil de discussion, c'est plutôt qu'ils se situent bel et bien dans exactement le même champ conceptuel et dans la même problématique, sauf que le premier me semble avoir bien saisi l'un des pièges épistémologiques tendus par la prose de Saint Augustin quand l'autre, de mon humble point de vue, semble en être la dupe.