Jérome a utilisé des textes hébreux. Et il a aussi utilisé la septante.
Il a surtout selon ses propos utilisé la Septante et la version en grec des écrits du Nouveau Testament. Il me semble que si il a eu des documents en hébreu, c'est qu'il les avait trouvés quelque part, et cela a motivé son voyage, entre la première mouture et la seconde version de sa vulgate. Aussi, il a ramené de son voyage un certain nombre de documents en hébreu et en araméen (il ramène non des originaux, mais des copies).
Si les plus anciens textes sont en effet seulement porteurs de consonnes (textes antérieurs à l'exil), la tradition orale et l'usage de l'hébreu lors des assemblées liturgiques, ainsi que celui de l'araméen en matière d'enseignement, s'était largement répandu après l'exil. Et donc la communauté juive disposait largement d'un corpus en pleine expansion. La version des Septantes a surtout été demandée par l'autorité grecque, afin de faire connaître le fonds de la tradition de Moïse à l'ensemble du monde grec, le grec étant la langue commerciale.
Mais la Septante fixe un sens des concepts qui n'est pas celui de l'hébreu. Le texte grec, déformant certaines notions, comme par exemple la notion de filialité, a entraîné les rabbins à fixer les notions dans une version en hébreu destinée à harmoniser les doctrines à travers la diaspora, et cette version des Massorètes va s'achever au 11° siècle (et non le 8°).
Les Massorètes ont opté pour l'ajout de signes au-dessus et au-dessous de la ligne des consonnes.
C'est plus compliqué que cela ! Ils ont découpé les manuscrits originaux en versets, ont compté chacune des lettres originales et chacune des lettres finales, indiqué par des signes les vocalises et les ponctuations (respirations), indiqué dans une colonne des commentaires pour les copistes, et sur chaque page, numérotée, on y trouve l'original, les passages éventuels de la Septante qui correspondent, et enfin le texte nouveau.
Puis, à partir de ce travail, a eu lieu le travail des copistes proprement dit, et ils écrivaient la nouvelle version, en portant mention de tous les critères de vérification. Une fois que le copiste avait terminé une page, celle-ci était validée par un jury.
Si Jérôme a pu avoir accès à des documents originaux, il ne devait pas y comprendre grand-chose, et c'est cela qui a motivé son voyage auprès des représentants de la communauté juive. Seulement, les juifs qui avaient ces textes, y avaient donc accès eux aussi. Et donc, si vous pensez que Jérome comprenait mieux l'hébreu que les hébreux eux-mêmes, je pense que vous pourriez devenir célèbre en donnant des conférences.
Dans la mesure où la version des Massorètes est le premier corpus biblique structuré, organisé et validé par les détenteurs de la tradition biblique, elle a beaucoup plus d'importance que l'on croit, et selon les rabbins, bien au-delà de la version des Septantes qui était en quelque sorte une version rapide "grand public".
Aussi, lorsqu'on analyse le texte biblique, le version massorétique est éminemment plus évocatrice des concepts métaphysiques traditionnels que la Septante.
Face aux écrits du Nouveau Testament, il est nécessaire de reconstituer la correspondance qui peut exister entre la version grecque de l'AT et la version en hébreu. Et donc, en traduisant le NT à partir de sa conversion en hébreu sur la base de cette correspondance, on obtient alors un rattachement direct des concepts du NT à l'ensemble de la Bible. C'est cette technique que Chouraqui a mise en oeuvre avec toute son équipe de spécialistes.
Parallèlement à cela, il existe de très nombreux commentaires, sans compter aussi les livres qui seront par la suite déclarés apocryphes. Par exemple, il a fallu reconstituer la version des Hexaples d'Origène, dont on a perdu l'original, et qui faisait le parallèle entre l'hébreu et les différentes versions grecques (il y en a eu en effet plusieurs en grec, à côté d'une seule en hébreu). D'ailleurs, la Septante ne représente en réalité qu'une seule de ces versions en grec. La différence de la Septante, c'est qu'elle a fait l'objet d'une validation à Jérusalem, alors que d'autres versions n'étaient pas "officielles". Par la même occasion, certains commentaires kabbalistes ont en effet permis de fixer des liens entre divers livres en apparence isolés, et cela a même influencé après Jérôme, la pensée chrétienne elle-même.
Aujourd'hui, beaucoup de traductions de la Bible, même en milieu monastique catholique se font à partir des techniques de Chouraqui, qui ont été publiées et la Sorbonne détient la correspondance qui a été préalablement établie avant la traduction du NT. Et quel besoin y a-t-il encore aujourd'hui de faire des traductions ? Par ailleurs quel est le degré de concordance qui existe réellement dans la Vulgate entre le livre de la genèse et l'évangile de Jean, par exemple ?
Jérome n'était pas satisfait de cette seconde version, et comment aurait-il pu l'être, dès lors qu'il admet ne pas avoir été libre de son travail ? Par ailleurs, le latin est une langue morte aujourd'hui, ce qui n'est pas le cas de l'hébreu et du grec. Aussi, malgré que les langues aient évolué, il existe une science appelée linguistique et qui a pour objet de reconstituer l'histoire des langues dans le temps et on connaît très bien tous les auteurs de l'Antiquité. De plus, on s'aperçoit en effet, que toutes les traductions actuelles ne se font qu'à partir de l'hébreu, du syriaque, de l'araméen, de l'arabe, du grec, du cyrillique, du copte, du chaldéen, ..., mais jamais du latin.
De même, la vulgate n'est certainement pas la première version latine de la Bible. Il existait 250 ans avant Jérôme, la version Itala encore appelée "vieille latine". En réalité, il y avait plusieurs versions latines des écrits du NT, selon le sens qu'on voulait privilégier. Aussi, Jérôme ne voulait réellement traduire de l'hébreu que l'AT, car il ignorait avant son voyage l'existence de version en hébreu des évangiles. Il rapportera à Rome une copie de l'évangile de Matthieu en hébreu. De même, Jérôme n'a pas traduit toute la bible telle qu'elle est aujourd'hui connue. Aussi, la Biblia Vulgata actuelle n'est pas seulement de Jérôme et en réalité, rien ne permet d'admettre que ce que Jérôme a écrit au 4° siècle n'ait jamais été retouché. Enfin, cette Bible en langue courante (ou vulgaire) ne devient la version officielle latine que par le concile de Trente en 1546, et peut-être que vous allez m'expliquer pourquoi il a fallu attendre si longtemps ! A cette date, la version des Massorètes est achevée.
Sur le plan historique, il est admis que Jérôme avait effectivement commencé un travail de traduction de l'AT à partir de l'hébreu. Mais cela a levé contre lui diverses graves polémiques qui l'ont obligé à se rétracter, accusé qu'il était de partout, de changer les écritures. Et face à ces querelles, c'est par ordre de sa hiérarchie qu'il a du abandonner cette traduction. Cela lui vaudra alors une autre polémique avec le monde juif, mais pour l'Eglise romaine, cela était vraisemblablement un risque bien plus supportable que de risquer une division d'elle-même. Comme ces polémiques sont attestées par l'historien, je n'y insisterais pas.
Jérôme a écrit :" Vous m'obligez à tirer une oeuvre nouvelle de l'ancienne:[...] il me faut siéger en arbitre [...] décider quels sont les exemplaires qui sont d'accord avec la vérité du texte grec. Pieux travail, mais périlleuse audace que de juger autrui quand on sera soi-même jugé par tous [...] Quel homme, en effet, docte aussi bien qu'ignorant, prenant en main ce volume et voyant que ce qu'il lit s'écarte de ce dont ses lèvres s'étaient une bonne fois imprégnées, ne se mettra pas aussitôt à jeter les hauts cris, clamant que je suis un faussaire, un sacrilège, d'oser dans les livres anciens ajouter, changer, corriger ? ".
...
" ... Ensuite, ce qui fait l'objet de variations ne peut être vrai, les méchants eux-mêmes le reconnaissent. De fait, s'il faut accorder foi aux exemplaires latins, qu'on me dise lesquels: il y en a presque autant que de manuscrits. Et si la vérité doit être demandée au grand nombre, pourquoi ne pas revenir à la source grecque et amender les éditions fautives [...]. "
Nous voyons là des extraits très connus, qui sont plus qu'un aveu que le NT grec est la référence du choix des autres parties. Par ailleurs cette idée farfelue que ce qui est variable ne peut exprimer la vérité est un non sens logique, car il existe dans les langages le moyen de créer des "formules", et par exemple, en mathématique, lorsqu'on écrit :
Y = 16 (x/3) + 11
la variable Y n'est pas fausse parce qu'elle est variable, mais sa vérité dépend seulement de l'inconnue x.
Ainsi, si des textes antérieurs à l'exil ne possédaient que des consonnes, manifestant
certains rapports variables en fonction de voyelles inconnues, alors assurément, l'on a affaire à un texte biblique à visée beaucoup plus large que l'on croit et donc, le fait de le fixer dans un seul sens possible, est alors mathématiquement une réduction de sens, et non une avancée vers une meilleure vérité.
Une telle évidence explique largement pourquoi on continue de traduire. On recherche en réalité comment chaque partie peut s'inscrire dans le tout, afin de constituer un ensemble cohérent. Cependant, comme cette démarche se doit d'être scrupuleusement honnête et jamais subordonnée à des intérêts temporels politiques, religieux ou autres, l'étude de la Bible ne dépend pas d'une authenticité historique des textes, mais de leur authentique intelligence. Et cela, c'est avec le coeur, qu'on peut l'obtenir. Or depuis que je me suis lancé dans l'étude biblique, je dois vous affirmer que je ne connais pas actuellement en français de meilleure version que celle de Chouraqui. Et si elle a influencé toutes les traductions ultérieures, cela n'est pas sans raison. Cela ne veut pas dire qu'elle est vraie, mais seulement qu'elle est moins fausse et plus honnête.